lundi 20 août 2007

Le transfert est dangereux…

C’est une des curiosités qui se rencontrent à chaque pas, cette déclaration que le transfert soit dangereux. La curiosité n’est pas tant qu’il soit d’emblée affirmé comme tel, dans son existence, sans que soit même moindrement remis en question ce fait : asseoir ainsi le transfert comme un fait immédiatement sensible à tous, bien connu dans ses tréfonds, alea, manifestations et dérangements, fonde implicitement le psychanalyste comme son adresse. Le fonde implicitement comme son adresse parce que c’est bien des cures faites par Freud que le terme s’en est trouvé historiquement posé.


Admis le transfert dans cette pose qu’il trouve dans l’opinion commune, et quelques soient les formations et déformations qui lui ont été données ou soustraites, c’est la psychanalyse qui se trouve admise du même fait, intentionnellement ou pas.


Dangereux, le transfert ; c’est dire avec une certaine duplicité qu’il ne ressort pas de l’anodin, pour fuyant qu’il soit d’une adresse à l’autre. Car une fois saisi comme tel, fait, phénomène, manifestation, production un peu inopinée allant d’un autre à l’Autre, pour être ensuite retournée d’un Autre à l’autre, parfois, dans le meilleur des cas, ce transfert sort de l’anodin pour se trouver être mis en danger de manipulations diverses et variées, au risque des torsions et rétorsions que la personne qui le tend au devant de soi pourrait bien se voir retourner.


Dangereux… Il touche, plane entre nous comme manifestation repérable d’un autre point de vue que celui du sujet auquel on l’attribue, sans qu’il soit possible d’emblée de faire admettre à celui-ci d’abord le fait de sa présence, et ensuite son caractère d’intention non-intentionnelle, d’inclusion d’un désir échappant à l’intention du dire, et venant, se posant là comme l’incitation première à l’énonciation qui fait du parlant le support d’un dire qui l’excède ; et dont souvent d’ailleurs, il est lui-même excessivement excédé.


Dangereux, le transfert ? Pas seulement pour les travers et déboires qu’il conditionne à tel sujet qui en est l’émissaire, mais pour les dérangements qu’il détermine chez ceux qui, par inadvertance, s’en font les destinataires, de hasard, à l’occasion d’une quelconque saisie d’un dire passant à portée de leur oreille. Il semble bien que pour lire la lettre du transfert il faille se contraindre aux conditions où il se trouve avoir été repéré, avec la contrainte qui s’ensuit, d’avoir à renvoyer la lettre à son destinataire, en rendant à son émissaire les termes de sa lisibilité. Il y en a pour déclarer qu’une fois inventé, par Freud, -invention au sens de la trouvaille-, le transfert, il suffirait ensuite d’utiliser la trouvaille pour l’appliquer à des modalités thérapeutiques moins contraignantes que celle de la réception du propos qu’il accompagne. Ce qui a pour effet de faire de ce propos une lettre sans plus de destinataire que d’émissaire, et de transporter le propos en question dans le champ d’un savoir à retraduire dans les termes de la logique ordinaire. Thérapeutique où il n’y aurait au fond qu’à redresser le logos, celui-ci fruit imparfait d’un apprentissage raté. Et l’on renvoie ainsi la coulpe à l’éducatif, qui ne demande que des fonds pour se parfaire, surtout à se battre les flancs d’une question de fond que pose le transfert, qui est de savoir, au particulier comme à l’universel, ce qu’il signifie du sujet.



On voit bien là que le transfert n’est pas à mettre entre toutes les mains. Avant que Freud ne le désigne, le transfert excellait à produire ses contorsions aux nez et barbes de maîtres qui avec néanmoins beaucoup d’à-propos y repéraient dans leurs chuchotements privés la trace du sexuel qu’il y avait lieu de voiler de termes savants. Les convulsions auxquelles cette première prise d’un transfert tendu vers un destinataire qui se refuse nous donnent encore aujourd’hui l’idée du danger qu’il y aurait à laisser de côté tomber le transfert en marge du dire pour plier le dire à une forme d’interprétation qui ne serait qu’herméneutique. Herméneutique savante, distinguée, érudite parfois, mais tout de même trop à distance de ce qui la cause pour être pertinente.


Sous la plume de Freud, lui qui ne s’est pas arrêté à la satisfaction exprimée par son maître Charcot à la lecture de la traduction de ses leçons en allemand, l’on trouve d’abord, quant au transfert, cette première occurrence de « transfert de pensées ». Cette impression qui lui est d’abord laissée, avant plus ample élaboration, que des pensées lui sont transmises par ses patients au travers de ce qui se dit, est encore prise à son point de départ comme une conception assez proche de l’idée d’une transmission télépathique, qu’il a ensuite réfutée. Cette réfutation assez problématique à l’époque le conduit à formuler qu’il y aurait quelque chose à interpréter : non pas en termes de transmission de pensées ou encore d’affects, mais en termes d’effets, sur lui Freud, en son intimité d’auditeur, de quelque chose qui ne lui est pas particulièrement destiné en tant que personne. De quelque chose qui lui est donc non pas transmis, (il n’est pas le destinataire), mais transféré, (il est destinataire de passage), par ce qui est dit, intrinsèque au dire, mais non d’emblée produit, admis et porté par le dire lui-même, qu’un enregistrement des propos pourrait par exemple authentifier. Ce qui est dit lui apparaît donc dit à un destinataire particulier qu’il ne fait que représenter pour un temps, ce temps qui est le temps du dire.


Freud ne se fait donc pas tant dépositaire du propos, ou rééducateur de l’expression, que traducteur de ce qu’il reçoit comme trace du destinataire, et supportant la place de destinataire du dire qui lui est octroyée de manière ainsi éperdue, l’interprète en la nommant d’abord dans le registre des relations humaines primordiales. Ce n’est pas dire qu’il faille se cantonner à ce registre d’interprétation. C’est souligner que quelque retrait que l’on fasse dans la prise en compte du fait du transfert, l’on en reviendra toujours à la suggestion. C’est dire que le fait du transfert réfute le champ thérapeutique qui le répudie à n’en point faire l’instrument de sa dissolution. La position de la psychanalyse est donc foncièrement problématique au regard des champs thérapeutiques lorsqu’on y soutient qu’il y aurait un effet thérapeutique en dehors de toute prise subjective, ou bien encore qu’il y aurait moyen de thérapie subjective sans éléments de transferts. Dans ces champs la position de la psychanalyse est problématique parce que l’on y fonde de sa reprise et de son élimination en un seul pas qui voudrait à la fois reprendre, ramasser, et nier : voilà où le transfert est dangereux, dit tel, dévoyé, à proprement parler.


Je préfèrerais donc qu’on en admette que le terme se réserve de la psychanalyse, s’y entend et s’y déploie, et qu’il devienne bien clair pour tous que les traductions, adaptations et relectures qui en sont ou qui en seront faites pour en distraire la fonction en psychanalyse dans le champ du cognitivisme, qui est la peau de chagrin du thérapeute, n’amèneront jamais le sujet désirant à la satisfaction de sa demande d’analyse : nous sommes aujourd’hui à l’heure où l’on peut trancher si Freud avait ou non lieu d’entendre cette demande incluse dans le symptôme du parlant au titre, peut-être pas du sens, mais d’une réponse possible, et appropriée. Appropriée non pas à la seule fantaisie de Freud, mais également aux structures de discours que Lacan a dévoilées à partir de sa lecture de Freud.

Autant les psychanalystes sont fondés à soutenir que Freud a été psychanalyste, autant ils s’accordent aujourd’hui de ce que Lacan a été l’un de ses passeurs, autant devraient-ils trouver à s’accorder de ce que Lacan, aura lui même franchi cette passe, porté à cette place de psychanalyste par les témoignages de ces passeurs, qui nous révèlent que ce n’est pas la capacité à susciter le transfert qui fait l’analyste, -là serait le danger-, mais sa capacité à supporter de n’en être que l’effet.


C’est ce point à partir duquel il apparaîtra qu’il n’y aura pas eu, de la part du psychanalyste, de jouissance du transfert, et que son danger ne tiendrait qu’à une erreur de lecture, voire de destination.

DK




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