jeudi 16 août 2007

La psychanalyse est chère…. !

Ce n’est pas encore passé dans le sens commun, mais pourtant cela circule, cette idée que « le sujet reçoit de l’Autre son message sous une forme inversée », émise il y a déjà fort longtemps par Jacques Lacan. Plus qu’une idée, d’ailleurs, c’est un véritable théorème lacanien, son théorème générique dont on trouvera le principe dans toutes ses constructions. Et puis les idées en psychanalyse, on ne peut pas trop s’y fier, elles n’y apparaissent point comme constructions trop solides. C’est même là ce qui a fait la réussite de la pensée de la déconstruction, dont il faut garder ce qu’elle a de constructif, de nous renvoyer de l’énoncé à l’énonciation ; pour la signifiance, j’y viendrais plus loin. Il n’est pas question que je fasse du « tout–en-un ».


« Le sujet reçoit de l’Autre son message sous une forme inversée », n’est pas un manifeste au principe d’un regroupement générationnel. Simplement c’était resté jusque là miraculeusement inaperçu pour être ramassé juste au bon moment par celui qui a donné sa grandeur à la psychanalyse, sa juste taille, et sa gabelle.


On ne me reprochera tout de même pas de profiter des lieux communs pour faire un traité de psychanalyse. Je ne fais que faire profit, et faire profiter le sens commun de ce que la psychanalyse apporte comme pinceau de lumière sur ses énoncés les plus flagrants.


Application, donc.


La psychanalyse est chère. Lorsque cet énoncé tombe dans l’oreille, comme un verdict implacable, c’est évidemment un repoussoir absolu à s’y rendre. Cela s’entend comme s’il avait été dit que la psychanalyse est trop chère. Or ce « trop » est de trop : il a été entendu alors qu’il n’était pas dit. On comprendra alors qu’il n’est pas du tout dit que la psychanalyse soit trop chère.


Ce phénomène curieux, de ce qui est entendu en surcroît de ce qui aura été dit, nous plonge dans un paradoxe : comment pourrait-il s’agir de surdité, alors qu’il a été entendu plus que ce qui est dit ? Et cela nous laisse avec cette question : s’agit-il là de repérer ce que l’on appelle travail de l’intelligence ? Peut-être pas. Il s’y repère plutôt que l’intelligence court au devant du sens, et qu’elle manifeste par là une certaine propension à la surdité de ce qui se dit ; l’intelligence s’ourdit le sens pour mieux fuir la signifiance, c’est son travers, ce qu’on lui pardonne au jeté d’une correction qu’on lui met : voilà bien une cause de détestation de la psychanalyse chez les gens intelligents, qui sont plus nombreux qu’on ne le prétend, et ne se laissent pas arrêter par ce qu’ils savent.


Ce trop-bien-entendu, qui fait de la psychanalyse chère une psychanalyse trop chère, ne peut se comprendre que si l’on se souvient qu’il n’y a pas de sens hors son contexte linguistique. Et quel est ce contexte linguistique par lequel le cher devient trop cher ? Il est d’abord celui où le « cher » est abordé comme ce qui se rapporte à ce portefeuille qui est le cache-cœur des frileux : ils ne se contentent pas du cache-nez en ces temps où l’argent passe pour devoir être retenu avec la gravité qui convient à la manière dont on l’attrappe. Cette position du portefeuille dans le costume des braves n’est pas sans conséquences sur la disposition qu’ils font à son contenu. Les disparités vestimentaires ne sont pas que des effets de mode, puisqu’elles vêtissent le corps en déterminant pour une part la grâce de son mouvement. Si l’on veut bien voir que je ne me lance pas là dans une critique échevelée du capitalisme, et accepter de considérer qu’il est ce contexte linguistique dans lequel l’évoquer est déjà entendu comme une critique, l’on voudra bien admettre que l’argent puisse se placer dans un contexte purement linguistique où sa valeur est rendue à la relativité de son effet lié à la quantité dont on dispose.


Pour les lettrés de la psychanalyse, qui savent bien que n’importe quel signifiant peut être placé comme phallus, « signifiant destiné à désigner dans leur ensemble... » etc, il apparaît bien nettement qu’il n’y a pas à s’arrêter sur un reproche auquel ils auraient à répondre, d’une « psychanalyse chère », en rabotant leur faible marge bénéficiaire, ce qui pourrait les conduire à demander la reconnaissance de leur utilité, par l’admission d’un remboursement généralisé de leurs actes. Il s’agit bien là de ce malentendu qui porte sur la surface où peut se dessiner la valeur de la psychanalyse pour tous.


Pour tous les autres, il me faut reprendre mon fil où je l’ai laissé. Je crois avoir pointé l’erreur qui conduirait à prendre ce « chère » pour un « trop chère ». Il y a bien eu ces derniers temps quelques perturbateurs pour prétendre que la psychanalyse ne vaut rien tant qu’on n’accepte pas leurs évaluations tronquées d’un sujet qui échappe à leur prise de tête avec le sens du calcul. Laissons-les là où ils sont, nous les avons entendus, et donnant-donnant, ils nous sont redevables maintenant d’avoir à nous lire pour cesser de se déconsidérer dans l’opinion publique qui nourrit leur prébende.


Sous une forme inversée, comment le psychanalyste entend-il que la psychanalyse est chère, lorsqu’on le lui dit ? J’y entends qu’effectivement elle m’est chère, très chère ; ou : elle m’est chère, très chers. Je n’en disconviens pas, et suis bien heureux de me voir renvoyé à ce dont je peux parfois douter, qu’elle me soit chère, la psychanalyse. Ce parce que je ne suis pas moins que quiconque sans doute avec elle dans un rapport d’hainamoration : me rapporte-t-elle autre chose que ce constat qu’on me tend, à savoir que ce n’est que cela que l’on entend, qu’elle me soit chère ? J’y entends qu’elle m’est supposée chère à mon cœur d’artichaut. Me voilà alors mis à une place, et c’est bien ainsi que la psychanalyse est sauvegardée par ceux-là même qui semblent être ses plus acharnés détracteurs, qui me contraignent ainsi à me faire l’émissaire, le passant, au sens de la couture, de leur propos.


C’est en tant que chère qu’ils la déterminent à être aussi précieuse pour eux que pour ceux qu’elle travaille, et ils en sont tout autant travaillés, mais puissent-ils ne pas toujours être livrés à la sourde oreille, car c’est à cela que les psychanalystes seront toujours renvoyés, et qui sera toujours la cause de leur révocation lorsqu’il s’agit de se pencher sur les sérieux problèmes que pose le fait, non pas, de leur érudition, mais de ce fréquent manque de simplicité que leur inflige la réputation de complexité qui les complexifie depuis que Jung les a plongé dans le monde du complexe. Les voilà donc complexés, réduits à leur Œdipe. Convenez tout de même que depuis qu’Œdipe est portail l’on peut sortir et du complexe et de Sophocle. Encore un peu et l’on aura oublié l’obésité narcissique que l’on supposait comme cause de psychanalyse, qui semblait aller de pair avec une forme d’anorexie de savoir-être.


Encore un petit mot, clin d’œil d’après-colloque sur les problèmes psychanalytico-juridiques de transcriptions des séminaires.


La psychanalyse eschère ; on peut aussi l’entendre ainsi, si l’on veut bien tolérer que je dénomine à partir d’Escher pour le verber puis le décliner. La psychanalyse se produisant dans l’équivoque de l’audible, dans ce champ, je ne pense pas pour autant qu’il y ait lieu de soumettre chaque proposition aux travaux de l’Académie Française, mais un peu de tollérance est de mise face à ces jeux, pour ne pas vire au tollé à chaque pas. La psychanalyse eschère, qu’est-ce à dire ?


C’est-à-dire que son établi, pour se poser sur un déverbal, met en continuité le sens commun le plus apparent avec tous les sens audibles de chacun des fragments de l’énoncé, et y compris coupures et ré-assemblages, pour faire apparaître par contraste ce qui se dit sans se dire, et échappe à toute saisie du registre de la communication, où le sujet est supposé connu, lié à des identités inabordables et compactes. Il faut bien que soit posé un sujet-supposé-savoir que ce n’est tout de même pas comme cela qu’on parle, en communicateur. Et c’est ainsi que la psychanalyse se voit liée, pour des raisons contingentes de pure signifiance, à une certaine forme d’excommunication qu’il y en a pour voir généraliser à l’ensemble des parlants, dont ils se sont déjà exclus pour faire œuvre de science.


Les laissera-t-on empiéter les versificateurs ? Rimailler railleusement sur les pieds du poète qui s’ignore en tout parlant ? Pas sans répondre : regardez bien comment chez Escher se fondent et s’intriquent des espaces dont les perspectives introduisent d’impossibles continuités qui pourtant vous sautent aux yeux et vous troublent, permettant à des personnages de suivre leurs chemins sans douter de la réalité pourtant impossible de l’espace où ils vont et viennent, et vous aurez une mise en forme imaginaire de ce qui se passe dans l’espace symbolique où nous nous mouvons par le parlé. Il vous apparaîtra alors que la logique a trouvé là l’une des limites qui fondent la pertinence de la psychanalyse comme discours autant que comme acte, puisqu’il y apparaît que tout sens n’est qu’artefact, jusqu’en science où l’on se déplace par calcul dans un espace où l’on est pris, qui est celui du symbolique, sans pouvoir en déduire le réel contre lequel il butera toujours de sa consistance. Cette déduction serait tout aussi trompeuse que les espaces d’Escher, qui ne sont tout de même pas là que pour flatter l’amateur de paradoxes.


À le regarder comme un parlant qui pose la question de ce qu’est l’espace, vous y verrez sa réponse, sous une forme inversée.


Chère ? La psychanalyse est. Pour ce qui est de sa valeur, il est d’autres éléments que son coût pour estimer ce qu’elle fait, son produit.


Le psychanalysant a bien de la patience : on lui fait tous les griefs de prendre au sérieux le mouvement qui le mène au psychanalyste plutôt qu’à une certaine forme de mort. Je vois qu’il y en a de bien plus dérangés que lui.






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