mardi 28 août 2007

vingt ans...

Scoop : reconversion des psychanalystes dans la sociologie de l’armoire à pharmacie.

(17/7/04 - modifié le 28/08/07)


L’été venant, avec ses plages vides de temps et ses plages pleines de gens, seulement certains psychanalystes, habitant le dernier village qui résiste encore à la vague de froidure qu’annonce la vague de chaleur, sont en train de débattre sous la pression de la nécessité, de l’opportunité qui se présente maintenant à eux de se pencher un peu plus sérieusement sur la sociologie de l’armoire à pharmacie, qui était restée à ce jour dans un coin obscur de leur branche d’étude.


On pourrait croire, jetant un regard superficiel, à une galéjade. Mais il aurait été question de l’utilité sociale, ou publique, de la psychanalyse : le terme exact est lui-même la résultante d’un pari théorique sur la signification de l’inconscient. C’est-à-dire que doit se trancher au travers de ce choix la question de savoir s’il faut demander à ceux qui n’ont pas entendu ce qui a été écrit, de bien vouloir effacer de leur mémoire ce qui a été dit, sous l’argument que seul importe ce que l’on décide finalement d’inscrire dans la mémoire collective, auquel cas, la psychanalyse n’a effectivement aucune utilité publique ; ou s’il y a lieu de dresser, honnêtement, le texte de ce qui a été dit au Sénat le 9 juillet, qui fait trace d’une reconnaissance d’utilité publique de la psychanalyse. Le commentaire de cette affaire est que cette reconnaissance imprévue d’utilité publique, sous la forme d’un aveu bien vite nié par peur des conséquences juridiques qui n’auraient pas la moindre conformité avec l’amendement discuté, étant elle-même une formation de compromis destinée à satisfaire, par la vérité qu’elle énonce, l’importante fraction des psychanalystes qui ne trouvent pas de quoi conclure à leur utilité sociale, à en extraire ce désir inconscient de satisfaire les psychanalystes, on doit conclure qu’ils existent au-delà de ce que l’amendement peut réglementer de leur pratique apparente, et sont mis dans une posture qui fait d’eux les maîtres du jeu de ce débat, position certes inconfortable au moins pour autant qu’elle n’a pas été convenue. Mais sans doute faut-il un « niveau suffisant » pour s’en apercevoir, et faudra-t-il accommoder la praxis d’un renoncement à l’usage de l’immixtion pharmaceutique dans le standard de la cure, car quoi qui s’en avoue c’est une pratique courante.


N’étant donc pour ma part aucunement concerné par cet amendement, puisque non-médecin, je me limiterai à placer quelques jalons de cette sociologie de l’armoire à pharmacie qu’il faudra nécessairement enseigner dans les instituts à venir.


Le progrès exponentiel de la pharmacie a conduit à l’extension relative du volume de l’armoire dans les intérieurs ; autrefois réduite au coton, mercurochrome et bandage, l’évolution a fait disparaître le mercurochrome au profit de produits mieux adaptés, et fait apparaître une plage de produits dont la gamme s’étend de la bande plâtrée aux cosmétiques, en passant par la boîte de cachets et la poudre ou le tube de dentifrice. La boîte de cachet répétant en plus petit et plus spécialisé la forme de la boîte de pharmacie, on comprend mieux qu’elle la représente dans son ensemble. Mais l’évolution rapide, fait qu’en un siècle, la boîte de première nécessité s’est transformée dans un premier temps en armoire murale à une porte, généralement en bois, puis en fer, nantie d’une clé, et décorée souvent de la célèbre croix rouge sur fond blanc ; l’étape suivante la fait apparaître comme une armoire murale à trois portes, en métal vitrée le plus souvent de miroirs ; puis apparaît l’armoire étroite, posée sur le sol, d’un mètre soixante-dix environ, en mélaminé, où la clé a disparu et qui présente l’avantage considérable d’être juxtaposable ; la tendance irait donc vers le placard recouvrant un mur, puis vers une conception d’un habitat thérapeutique où la présence pharmaceutique s’exprimerait en chaque lieu selon la spécialisation de leur usage. La disparition de la clé signe la privatisation du local où l’armoire est déposée.


Il y a évidemment quelques mots à dire sur la localisation de l’armoire et son contenu. Au départ, la boîte, qui est une extension de la poche, substitut du ventre, se trouve dans un tiroir du buffet de la cuisine, qui correspond aux blessures superficielles que l’on peut s’infliger en cuisinant, aussi bien qu’à la fonction sociale de réunion et de communication, dont la localisation se détermine sur le mode de la contagion métonymique.


C’est ce caractère métonymique qui va influer la localisation ultérieure dans les toilettes, dont l’apparition rend possible la suppression de la table de nuit, dont la fonction de réceptacle du bourdalou parental tend à disparaître ; c’est précisément ce qui justifie l’apparition de la clé, puisque la première petite armoire va pouvoir accueillir seringues, clystères et condoms dont l’usage et la fonction, sexuels, doivent rester sous la responsabilité morale et effective des parents ; un petit pas de côté fera comprendre l’évolution malthusienne de la famille et la transformation de la place de l’enfant dans le discours parental qui y est inhérent ; cette évolution traduit également la transformation de la notion du privé et de l’intime qui se produit par déplacement du mode sexuel vers une part grandissante de l’autoérotique qui correspond bien à une chute de la fécondité.


Le déplacement ultérieur de l’armoire des toilettes vers la salle d’eau correspond évidemment à une uniformisation du confort, mais également à un réinvestissement de la surface du corps, à commencer par le visage, ce qui explique l’apparition des portes miroirs servant aussi bien au rasage qu’à l’application des premiers cosmétiques. Le contenu de l’armoire se modifie, ses séparations permettant de scinder les produits d’hygiène des cosmétiques et de la pharmacie de secours, incluant du matériel de petite chirurgie ; au cours de ces migrations, la fonction de boîte à pharmacie s’est donc approprié un contenu sexuel refoulé qu’elle sublime en l’esthétisant, le prix à payer de cette croissance narcissique étant une augmentation parallèle de la dose d’angoisse ; le contenu de la boîte va donc, en proportion, s’adjoindre de produits sédatifs qui deviennent peu à peu indispensables au mode de confort atteint.


L’amplification de l’armoire murale de salle d’eau en armoires multiples posées sur le sol est corrélative d’un double mouvement ; la faible surface des portes miroirs ne permet d’examiner le corps qu’au prix de contorsions ; les armoires à glaces se trouvant dans des espaces partagés, elles sont plus appropriées à la correction du détail vestimentaire qu’à l’examen approfondi du corps dévêtu ; la surface du miroir mural de salle de bain augmente donc et à mesure que l'image du corps se dissocie du contenu de l’armoire ; cette évolution est corrélative à un nouveau rapport au corps qui s’instaure, toujours plus structuré par le regarder et moins par le voir ; à mesure que diminue l’importance de la posture, le vêtement apparaît comme l’imposture qui cache un corps de plus en plus dévêtu de ses fonctions symboliques ; et l’on constate parallèlement la généralisation d’un rapport consumériste à l’image obscène, qui est une tentative de guérison de l’impasse sexuelle du narcissisme.


Quant au contenu diversifié et amplifié des armoires à pharmacie, il correspond de plus en plus à une stratification de rebuts de traitements d’un corps morcelé par l’imaginaire sexuel du moment, où le regard prédomine, où le bien-être est coupé du réel du corps du fait de l’absence d’une médiatisation verbale.


Il y aurait long à dire sur le contenu plus ou moins « hard » des drogues (pharmakon) qui s’y trouvent enlisées, toutes incapables de procurer la retrouvaille avec le plaisir dont elles seraient, semble-t-il, le détour obligé.


La place de la psychanalyse dans les esprits se trouve, actuellement semble-t-il, accolée à l’existence de cette envahissante boîte à pharmacie, pour s’adjoindre à elle et pallier à son insuffisance de structure, à organiser la vie psychique autrement que sur le mode symptomatique.


Je dis donc ceci à ceux de mes collègues qui se mettent en piste pour négocier un ‘’bon’’ décret d’application de l’amendement récemment, hélas, voté par une majorité pour le moins silencieuse quant à son raisonnement juridique et à ses intentions : quoique vous puissiez obtenir pour tenter de sauver les meubles d’une psychanalyse qui vous est chère, vous l’inscrirez dans le cadre sociologique de l’existence de cette boîte : dans une dynamique sociale d’effacement du rapport entre le sexuel et le corps.


Vous connaissez trop la problématique de ceux que la clinique appelait autrefois les hystériques, par rapport à la fonction du maître, pour croire un instant qu’à ‘’réguler’’ un titre quelconque, il y ait la moindre chance qu’ils partagent vos vues sur la valeur d’un savoir protégé: j’en suis à me demander quel atout sera, pour pratiquer la psychanalyse, un titre qui n’a au fond de valeur que narcissique, et ne fait qu’entériner l’impasse d’un symptôme actuel. Mais sans doute est-ce l’une de ces questions que l’on ne peut poser que quand on en connaît d’emblée la réponse. Je ne crois pas être assis avec vous sur la branche que vous sciez. L’enjeu est symbolique, d’une acceptation ou non d’une psychanalyse mise au service et formatée par et pour quelque politique que ce soit. Le balbutiement de l’histoire a déjà jugé. L’existence de la psychanalyse n’est rien d’autre que ce qui marque la limite de l’efficacité consensuelle. Si vous l’omettez maintenant : « souviens-toi de celui qui a oublié le chemin », écrivait Maurice Blanchot, -pour nous accompagner.


Didier Kuntz

vendredi 24 août 2007

s'affiche

Interprétations de la psychanalyse en politique de la psychanalyse.

(Quelques fragments... hors contexte... comme par hasard, il y a quelque chose qui surnouage...)



(9/02/06)



-(en réponse à « Munich », de Serge Hajlblum)-



Le problème politique posé à la psychanalyse d’aujourd’hui, posé par les diverses positions qui ont conduit à la situation où elle est pour ainsi dire posée, cette « psychanalyse », au milieu d’un problème politique qui ne s’avoue pas comme tel à ceux qui le posent, qui ne s’avoue pas comme tel parce qu’il semblerait que poser ce problème comme social, comme un problème de régulation sociale de pathologies sociales, ait la préférence d’un certain type de refoulement que l’on peut dire collectif, même si ce refoulement n’est que l’addition de refoulements un par un, coaptés, collapsés, et opte pour l’acceptation d’une censure admise, d’un refoulement partagé, -acceptation dont le sens d’acception ne doit pas rester ici oublié-, d’une censure aimée, désirée, et requise comme légalité à venir, ce problème politique posé à la psychanalyse est bien celui, tacite, d’une évacuation, d’une vidange de l’horreur du meurtre jouissif, d’autant plus jouissif qu’il est, devient collectif, d’autant plus collectif qu’il se marque de l’oubli de cet un par un où il pourrait ou aurait pu ne pas échouer à faire mémoire.


Peut-être vais-je un peu vite en besogne, mais je n’hésite pas à conclure que la condition nouvelle qui se propose aux psychanalystes d’être « tous psychothérapeutes », (voir texte de Laurent Le Vaguerèse sur le « Petit Journal »), entérine ce meurtre collectif en l’effaçant des mémoires, posant ainsi la condition de sa répétition, posant l’oubli comme condition d’un bonheur à venir, posant cette jouissance ignorée comme jouissance partagée. Il est simplement étonnant que les lecteurs de « Totem et tabou » omettent la condition d’émergence de la loi telle que Freud l’interprète.


On tue la psychanalyse, comme bouc émissaire d’un passé dont on ne veut rien savoir, d’un savoir dont on ne veut rien passer.



(15/02/06)


Les psychanalystes sont actuellement fondés à refuser les différentes stigmatisations et autres réductions de têtes qu'on leur attribue souvent à tort. Je ne dis pas cela dans un effort consensuel. Je le dis pour éviter que ce qu'on appelle "démarche personnelle" puisse passer dans se champ pour une démarche individuelle, illusoirement fondée sur une conception un peu narcissique de la fameuse "auto-analyse" de Freud.


L'adjectif "scientifique" ne suffira pas à faire de la science; on peut dire que par exemple la psychanalyse n'est pas scientifique ou n'est pas une science; mais par contre on ne peut pas dire qu'elle ne soit pas en tension vers la science; cette tension vers la science est ce qui permet de dégager ce qui fait que les sciences soient "sciences" et non pas bricoles idéologiques. C'est ici les scientifiques que j'interpelle, de leur nom de scientifique, contre l'adjectivation qui se retourne déjà contre eux.



(19/10/05)


Il est dommageable que nous ne disposions pas ou ne connaissions pas assez les travaux de sociologues sur les conditions de vie dans les quartiers où vivent les populations stigmatisées, dépositaires du symptôme « fragilisé » ou « risque de délinquance »...


Les quartiers où les voitures brûlent la nuit, sont aussi ceux où les MJC et autres centres de culture ou d'animation ont été fermés pour être remplacés par des lieux censément moins coûteux pour l'état; cette politique a été mise en place par François Léotard lorsqu'il était ministre de la culture; la suppression des postes d'animateurs et leur remplacement par des postes d'éducateurs, , puis d’assistants sociaux, puis de psychologues, a mené à les remplacer insidieusement par une présence policière puis militaire, (les gendarmes et CRS dépendant de l'armée). Sous le prétexte de lutte antiterroriste ; où renaît le masque de « l’ennemi intérieur », cette consternante vichyssoise.


Évidemment on peut croire qu'il n'y a aucun rapport entre la manière dont on traite une population et celle par laquelle elle réagit, déjà langagièrement d'ailleurs, à la manière dont on la "traite".


Simplement lorsqu'on pose la question des coûts, de la culture par exemple, il faudrait faire rentrer dans le calcul celui des conséquences comptables des économies réalisées finalement sur l'éducation, au sens large, puisqu'on ne parle plus "d'instruction", aujourd'hui, ailleurs que dans le cadre des prétoires... Il y aurait apparemment un état corpusculaire des coûts et un état ondulatoire des effets des compressions des coûts comptables.


Comment ne pas voir que la réclusion dans des entités abstraites, ("population à risque", "copulation à risque", etc), "fragilisés psychologiquement", met en scène des liens sociaux hystérisés, lus au travers du prisme tragique d'une mise à distance des "populations"?...




(17/02/06)



Passe borroméen.


-(c'était adressé à Patrick Valas et à Alain Dufour; entre autres)-


Toutes les précisions données ici, à propos de la passe, de celles qui peuvent être données, parce qu'il est bien évident qu'il y a une différence entre le passage au public et le passage de l'intime, seront bienvenues je pense, parce qu'il y a une certaine publicité qui peut être donnée au fait de son existence, et qui permettra à ceux qui ont à y redire de se manifester.


Je précise que pour ma part je n'ai rien à y redire, c'est une institution.


Elle n'est pas sans sa lacune: sa lacune, c'est qu'il y a des psychanalystes qui pensent qu'elle ne ferme pas la transmission qu'elle ouvre. La question est donc de savoir si l'existence de cette institution doit nécessairement être une cause de discrédit de toute transmission qui ne serait pas d'école.


Un des éléments est que ces psychanalystes qui ne sont pas d’écoles et qui poussent le bouchon à ne se reposer que sur l'existence légale de "l'association de fait" se sont trouvés jusqu'à présent confrontés à une certaine morgue des associations plus ou moins solides, parfois d'autant plus hautaines que leur fond théorique relevant trop souvent de la petite différence était réduit à une position charismatique. C'est bien pour cette raison qu'on a pu se gausser de leur masochisme, et qu'aussi bien aujourd'hui ils se trouvent, pas plus objets de convoitise que de discorde, interpellés à exprimer la cause de leur différance à l'endroit des écoles, et la raison qui les pousse à l'encontre du bon sens à avoir soutenu cette position.


Non pas qu'ils n'en aient jamais rien dit, mais que, du fait de cette lacune un témoignage ne pourrait être saisi comme tel que dans un cadre posé ad hoc. Les instances posées par les écoles seraient donc là posées comme débordées, au sens où elles ne seraient pas posées comme seules à être aptes à recevoir un témoignage; il n'en reste pour autant pas moins qu'elles sont les seules à être en mesure de l'authentifier. Les instances en question, ou les écoles, peuvent bien sûr considérer qu'elles n'ont rien à faire de propos latéraux qui ne demandent pas d'authentification. Elles peuvent également considérer que nul n'est audible qu'à condition d'une authentification préliminaire. Cela paraît fondé de l'intérieur de cette logique.


Le hic c'est qu'outre la production de psychanalystes "non-authentifiés" dans leur témoignage faute d'un recours à une telle instance, et qui conduit les écoles à les discréditer comme si leur absence à ce recours n'y suffisait pas, (question, question...), cette stratégie d'élaboration d'école conditionne l'apparition d'une théorie de narcissismes qui passent pour thérapies.


Le plus drôle, ce serait que les Jourdains qui maniant leurs proses reçoivent leurs baptêmes sur les fonds d'Oedipe passent pour dupes! Ce serait bien le comble qu'ils ne le soient pas! Qu'ils ne sachent pas ce qu’ils prosent!


Il y a bien la question de ce qui passe ou pas par l'oral des cris. Mais de là à ce que les chuchotements en viennent à convenir qu'il y a en plus à inventer autre chose, et à trouver un assentiment à ce que les écoles fondent la psychanalyse, et ne cessent de la fonder de leur ouverture à ce qui se produit de leurs interstices, il faudra non seulement qu'elles trouvent à s'accorder réciproquement de leur pertinence méconnue, mais qu'elles en posent conjointement la formalisation qui leur manque.


Et elles le peuvent, à ne pas se poser comme l'Autre. Elle existe de fait, l'Autre École, c'est la psychanalyse que font les psychanalystes, à lier comme vous voudrez, mais même si l'on peut selon un certain entendement nier qu'il fassent communauté pour autant qu'ils ne sont pas un, on ne peut plus soutenir qu'il n'y ait pas plus d'un trait unaire qu'ils soutiennent communément comme fondement de la position psychanalytique...


À ce moment où il semble requis qu'ils sachent se laisser distinguer des psychothérapeutes, plus il y en aura, de ces traits, mieux ce sera, puisque l'on ne peut en aucun cas tabler sur la seule auto-régulation associative sans supporter que sous le nom de psychanalyse apparaisse n'importe quoi: il n'y a rien à fonder que ce qui l’est déjà, mais il y a à présenter ce qui est fondé, et d'une manière qui soit recevable en droit, tôt ou tard, certainement. Hélas si vous voulez, mais si la charge se présente comme irrémédiable, on ne s’en tirera au mieux qu’en faisant des coupures par des nœuds borroméens : c’est ça l’envers de la psychanalyse, maintenant, cette réciprocité -là.


Merci de supporter ce « pas clair ».


DK




lundi 20 août 2007

angélisme

Le transfert est dangereux…

C’est une des curiosités qui se rencontrent à chaque pas, cette déclaration que le transfert soit dangereux. La curiosité n’est pas tant qu’il soit d’emblée affirmé comme tel, dans son existence, sans que soit même moindrement remis en question ce fait : asseoir ainsi le transfert comme un fait immédiatement sensible à tous, bien connu dans ses tréfonds, alea, manifestations et dérangements, fonde implicitement le psychanalyste comme son adresse. Le fonde implicitement comme son adresse parce que c’est bien des cures faites par Freud que le terme s’en est trouvé historiquement posé.


Admis le transfert dans cette pose qu’il trouve dans l’opinion commune, et quelques soient les formations et déformations qui lui ont été données ou soustraites, c’est la psychanalyse qui se trouve admise du même fait, intentionnellement ou pas.


Dangereux, le transfert ; c’est dire avec une certaine duplicité qu’il ne ressort pas de l’anodin, pour fuyant qu’il soit d’une adresse à l’autre. Car une fois saisi comme tel, fait, phénomène, manifestation, production un peu inopinée allant d’un autre à l’Autre, pour être ensuite retournée d’un Autre à l’autre, parfois, dans le meilleur des cas, ce transfert sort de l’anodin pour se trouver être mis en danger de manipulations diverses et variées, au risque des torsions et rétorsions que la personne qui le tend au devant de soi pourrait bien se voir retourner.


Dangereux… Il touche, plane entre nous comme manifestation repérable d’un autre point de vue que celui du sujet auquel on l’attribue, sans qu’il soit possible d’emblée de faire admettre à celui-ci d’abord le fait de sa présence, et ensuite son caractère d’intention non-intentionnelle, d’inclusion d’un désir échappant à l’intention du dire, et venant, se posant là comme l’incitation première à l’énonciation qui fait du parlant le support d’un dire qui l’excède ; et dont souvent d’ailleurs, il est lui-même excessivement excédé.


Dangereux, le transfert ? Pas seulement pour les travers et déboires qu’il conditionne à tel sujet qui en est l’émissaire, mais pour les dérangements qu’il détermine chez ceux qui, par inadvertance, s’en font les destinataires, de hasard, à l’occasion d’une quelconque saisie d’un dire passant à portée de leur oreille. Il semble bien que pour lire la lettre du transfert il faille se contraindre aux conditions où il se trouve avoir été repéré, avec la contrainte qui s’ensuit, d’avoir à renvoyer la lettre à son destinataire, en rendant à son émissaire les termes de sa lisibilité. Il y en a pour déclarer qu’une fois inventé, par Freud, -invention au sens de la trouvaille-, le transfert, il suffirait ensuite d’utiliser la trouvaille pour l’appliquer à des modalités thérapeutiques moins contraignantes que celle de la réception du propos qu’il accompagne. Ce qui a pour effet de faire de ce propos une lettre sans plus de destinataire que d’émissaire, et de transporter le propos en question dans le champ d’un savoir à retraduire dans les termes de la logique ordinaire. Thérapeutique où il n’y aurait au fond qu’à redresser le logos, celui-ci fruit imparfait d’un apprentissage raté. Et l’on renvoie ainsi la coulpe à l’éducatif, qui ne demande que des fonds pour se parfaire, surtout à se battre les flancs d’une question de fond que pose le transfert, qui est de savoir, au particulier comme à l’universel, ce qu’il signifie du sujet.



On voit bien là que le transfert n’est pas à mettre entre toutes les mains. Avant que Freud ne le désigne, le transfert excellait à produire ses contorsions aux nez et barbes de maîtres qui avec néanmoins beaucoup d’à-propos y repéraient dans leurs chuchotements privés la trace du sexuel qu’il y avait lieu de voiler de termes savants. Les convulsions auxquelles cette première prise d’un transfert tendu vers un destinataire qui se refuse nous donnent encore aujourd’hui l’idée du danger qu’il y aurait à laisser de côté tomber le transfert en marge du dire pour plier le dire à une forme d’interprétation qui ne serait qu’herméneutique. Herméneutique savante, distinguée, érudite parfois, mais tout de même trop à distance de ce qui la cause pour être pertinente.


Sous la plume de Freud, lui qui ne s’est pas arrêté à la satisfaction exprimée par son maître Charcot à la lecture de la traduction de ses leçons en allemand, l’on trouve d’abord, quant au transfert, cette première occurrence de « transfert de pensées ». Cette impression qui lui est d’abord laissée, avant plus ample élaboration, que des pensées lui sont transmises par ses patients au travers de ce qui se dit, est encore prise à son point de départ comme une conception assez proche de l’idée d’une transmission télépathique, qu’il a ensuite réfutée. Cette réfutation assez problématique à l’époque le conduit à formuler qu’il y aurait quelque chose à interpréter : non pas en termes de transmission de pensées ou encore d’affects, mais en termes d’effets, sur lui Freud, en son intimité d’auditeur, de quelque chose qui ne lui est pas particulièrement destiné en tant que personne. De quelque chose qui lui est donc non pas transmis, (il n’est pas le destinataire), mais transféré, (il est destinataire de passage), par ce qui est dit, intrinsèque au dire, mais non d’emblée produit, admis et porté par le dire lui-même, qu’un enregistrement des propos pourrait par exemple authentifier. Ce qui est dit lui apparaît donc dit à un destinataire particulier qu’il ne fait que représenter pour un temps, ce temps qui est le temps du dire.


Freud ne se fait donc pas tant dépositaire du propos, ou rééducateur de l’expression, que traducteur de ce qu’il reçoit comme trace du destinataire, et supportant la place de destinataire du dire qui lui est octroyée de manière ainsi éperdue, l’interprète en la nommant d’abord dans le registre des relations humaines primordiales. Ce n’est pas dire qu’il faille se cantonner à ce registre d’interprétation. C’est souligner que quelque retrait que l’on fasse dans la prise en compte du fait du transfert, l’on en reviendra toujours à la suggestion. C’est dire que le fait du transfert réfute le champ thérapeutique qui le répudie à n’en point faire l’instrument de sa dissolution. La position de la psychanalyse est donc foncièrement problématique au regard des champs thérapeutiques lorsqu’on y soutient qu’il y aurait un effet thérapeutique en dehors de toute prise subjective, ou bien encore qu’il y aurait moyen de thérapie subjective sans éléments de transferts. Dans ces champs la position de la psychanalyse est problématique parce que l’on y fonde de sa reprise et de son élimination en un seul pas qui voudrait à la fois reprendre, ramasser, et nier : voilà où le transfert est dangereux, dit tel, dévoyé, à proprement parler.


Je préfèrerais donc qu’on en admette que le terme se réserve de la psychanalyse, s’y entend et s’y déploie, et qu’il devienne bien clair pour tous que les traductions, adaptations et relectures qui en sont ou qui en seront faites pour en distraire la fonction en psychanalyse dans le champ du cognitivisme, qui est la peau de chagrin du thérapeute, n’amèneront jamais le sujet désirant à la satisfaction de sa demande d’analyse : nous sommes aujourd’hui à l’heure où l’on peut trancher si Freud avait ou non lieu d’entendre cette demande incluse dans le symptôme du parlant au titre, peut-être pas du sens, mais d’une réponse possible, et appropriée. Appropriée non pas à la seule fantaisie de Freud, mais également aux structures de discours que Lacan a dévoilées à partir de sa lecture de Freud.

Autant les psychanalystes sont fondés à soutenir que Freud a été psychanalyste, autant ils s’accordent aujourd’hui de ce que Lacan a été l’un de ses passeurs, autant devraient-ils trouver à s’accorder de ce que Lacan, aura lui même franchi cette passe, porté à cette place de psychanalyste par les témoignages de ces passeurs, qui nous révèlent que ce n’est pas la capacité à susciter le transfert qui fait l’analyste, -là serait le danger-, mais sa capacité à supporter de n’en être que l’effet.


C’est ce point à partir duquel il apparaîtra qu’il n’y aura pas eu, de la part du psychanalyste, de jouissance du transfert, et que son danger ne tiendrait qu’à une erreur de lecture, voire de destination.

DK




jeudi 16 août 2007

en personne

La psychanalyse est chère…. !

Ce n’est pas encore passé dans le sens commun, mais pourtant cela circule, cette idée que « le sujet reçoit de l’Autre son message sous une forme inversée », émise il y a déjà fort longtemps par Jacques Lacan. Plus qu’une idée, d’ailleurs, c’est un véritable théorème lacanien, son théorème générique dont on trouvera le principe dans toutes ses constructions. Et puis les idées en psychanalyse, on ne peut pas trop s’y fier, elles n’y apparaissent point comme constructions trop solides. C’est même là ce qui a fait la réussite de la pensée de la déconstruction, dont il faut garder ce qu’elle a de constructif, de nous renvoyer de l’énoncé à l’énonciation ; pour la signifiance, j’y viendrais plus loin. Il n’est pas question que je fasse du « tout–en-un ».


« Le sujet reçoit de l’Autre son message sous une forme inversée », n’est pas un manifeste au principe d’un regroupement générationnel. Simplement c’était resté jusque là miraculeusement inaperçu pour être ramassé juste au bon moment par celui qui a donné sa grandeur à la psychanalyse, sa juste taille, et sa gabelle.


On ne me reprochera tout de même pas de profiter des lieux communs pour faire un traité de psychanalyse. Je ne fais que faire profit, et faire profiter le sens commun de ce que la psychanalyse apporte comme pinceau de lumière sur ses énoncés les plus flagrants.


Application, donc.


La psychanalyse est chère. Lorsque cet énoncé tombe dans l’oreille, comme un verdict implacable, c’est évidemment un repoussoir absolu à s’y rendre. Cela s’entend comme s’il avait été dit que la psychanalyse est trop chère. Or ce « trop » est de trop : il a été entendu alors qu’il n’était pas dit. On comprendra alors qu’il n’est pas du tout dit que la psychanalyse soit trop chère.


Ce phénomène curieux, de ce qui est entendu en surcroît de ce qui aura été dit, nous plonge dans un paradoxe : comment pourrait-il s’agir de surdité, alors qu’il a été entendu plus que ce qui est dit ? Et cela nous laisse avec cette question : s’agit-il là de repérer ce que l’on appelle travail de l’intelligence ? Peut-être pas. Il s’y repère plutôt que l’intelligence court au devant du sens, et qu’elle manifeste par là une certaine propension à la surdité de ce qui se dit ; l’intelligence s’ourdit le sens pour mieux fuir la signifiance, c’est son travers, ce qu’on lui pardonne au jeté d’une correction qu’on lui met : voilà bien une cause de détestation de la psychanalyse chez les gens intelligents, qui sont plus nombreux qu’on ne le prétend, et ne se laissent pas arrêter par ce qu’ils savent.


Ce trop-bien-entendu, qui fait de la psychanalyse chère une psychanalyse trop chère, ne peut se comprendre que si l’on se souvient qu’il n’y a pas de sens hors son contexte linguistique. Et quel est ce contexte linguistique par lequel le cher devient trop cher ? Il est d’abord celui où le « cher » est abordé comme ce qui se rapporte à ce portefeuille qui est le cache-cœur des frileux : ils ne se contentent pas du cache-nez en ces temps où l’argent passe pour devoir être retenu avec la gravité qui convient à la manière dont on l’attrappe. Cette position du portefeuille dans le costume des braves n’est pas sans conséquences sur la disposition qu’ils font à son contenu. Les disparités vestimentaires ne sont pas que des effets de mode, puisqu’elles vêtissent le corps en déterminant pour une part la grâce de son mouvement. Si l’on veut bien voir que je ne me lance pas là dans une critique échevelée du capitalisme, et accepter de considérer qu’il est ce contexte linguistique dans lequel l’évoquer est déjà entendu comme une critique, l’on voudra bien admettre que l’argent puisse se placer dans un contexte purement linguistique où sa valeur est rendue à la relativité de son effet lié à la quantité dont on dispose.


Pour les lettrés de la psychanalyse, qui savent bien que n’importe quel signifiant peut être placé comme phallus, « signifiant destiné à désigner dans leur ensemble... » etc, il apparaît bien nettement qu’il n’y a pas à s’arrêter sur un reproche auquel ils auraient à répondre, d’une « psychanalyse chère », en rabotant leur faible marge bénéficiaire, ce qui pourrait les conduire à demander la reconnaissance de leur utilité, par l’admission d’un remboursement généralisé de leurs actes. Il s’agit bien là de ce malentendu qui porte sur la surface où peut se dessiner la valeur de la psychanalyse pour tous.


Pour tous les autres, il me faut reprendre mon fil où je l’ai laissé. Je crois avoir pointé l’erreur qui conduirait à prendre ce « chère » pour un « trop chère ». Il y a bien eu ces derniers temps quelques perturbateurs pour prétendre que la psychanalyse ne vaut rien tant qu’on n’accepte pas leurs évaluations tronquées d’un sujet qui échappe à leur prise de tête avec le sens du calcul. Laissons-les là où ils sont, nous les avons entendus, et donnant-donnant, ils nous sont redevables maintenant d’avoir à nous lire pour cesser de se déconsidérer dans l’opinion publique qui nourrit leur prébende.


Sous une forme inversée, comment le psychanalyste entend-il que la psychanalyse est chère, lorsqu’on le lui dit ? J’y entends qu’effectivement elle m’est chère, très chère ; ou : elle m’est chère, très chers. Je n’en disconviens pas, et suis bien heureux de me voir renvoyé à ce dont je peux parfois douter, qu’elle me soit chère, la psychanalyse. Ce parce que je ne suis pas moins que quiconque sans doute avec elle dans un rapport d’hainamoration : me rapporte-t-elle autre chose que ce constat qu’on me tend, à savoir que ce n’est que cela que l’on entend, qu’elle me soit chère ? J’y entends qu’elle m’est supposée chère à mon cœur d’artichaut. Me voilà alors mis à une place, et c’est bien ainsi que la psychanalyse est sauvegardée par ceux-là même qui semblent être ses plus acharnés détracteurs, qui me contraignent ainsi à me faire l’émissaire, le passant, au sens de la couture, de leur propos.


C’est en tant que chère qu’ils la déterminent à être aussi précieuse pour eux que pour ceux qu’elle travaille, et ils en sont tout autant travaillés, mais puissent-ils ne pas toujours être livrés à la sourde oreille, car c’est à cela que les psychanalystes seront toujours renvoyés, et qui sera toujours la cause de leur révocation lorsqu’il s’agit de se pencher sur les sérieux problèmes que pose le fait, non pas, de leur érudition, mais de ce fréquent manque de simplicité que leur inflige la réputation de complexité qui les complexifie depuis que Jung les a plongé dans le monde du complexe. Les voilà donc complexés, réduits à leur Œdipe. Convenez tout de même que depuis qu’Œdipe est portail l’on peut sortir et du complexe et de Sophocle. Encore un peu et l’on aura oublié l’obésité narcissique que l’on supposait comme cause de psychanalyse, qui semblait aller de pair avec une forme d’anorexie de savoir-être.


Encore un petit mot, clin d’œil d’après-colloque sur les problèmes psychanalytico-juridiques de transcriptions des séminaires.


La psychanalyse eschère ; on peut aussi l’entendre ainsi, si l’on veut bien tolérer que je dénomine à partir d’Escher pour le verber puis le décliner. La psychanalyse se produisant dans l’équivoque de l’audible, dans ce champ, je ne pense pas pour autant qu’il y ait lieu de soumettre chaque proposition aux travaux de l’Académie Française, mais un peu de tollérance est de mise face à ces jeux, pour ne pas vire au tollé à chaque pas. La psychanalyse eschère, qu’est-ce à dire ?


C’est-à-dire que son établi, pour se poser sur un déverbal, met en continuité le sens commun le plus apparent avec tous les sens audibles de chacun des fragments de l’énoncé, et y compris coupures et ré-assemblages, pour faire apparaître par contraste ce qui se dit sans se dire, et échappe à toute saisie du registre de la communication, où le sujet est supposé connu, lié à des identités inabordables et compactes. Il faut bien que soit posé un sujet-supposé-savoir que ce n’est tout de même pas comme cela qu’on parle, en communicateur. Et c’est ainsi que la psychanalyse se voit liée, pour des raisons contingentes de pure signifiance, à une certaine forme d’excommunication qu’il y en a pour voir généraliser à l’ensemble des parlants, dont ils se sont déjà exclus pour faire œuvre de science.


Les laissera-t-on empiéter les versificateurs ? Rimailler railleusement sur les pieds du poète qui s’ignore en tout parlant ? Pas sans répondre : regardez bien comment chez Escher se fondent et s’intriquent des espaces dont les perspectives introduisent d’impossibles continuités qui pourtant vous sautent aux yeux et vous troublent, permettant à des personnages de suivre leurs chemins sans douter de la réalité pourtant impossible de l’espace où ils vont et viennent, et vous aurez une mise en forme imaginaire de ce qui se passe dans l’espace symbolique où nous nous mouvons par le parlé. Il vous apparaîtra alors que la logique a trouvé là l’une des limites qui fondent la pertinence de la psychanalyse comme discours autant que comme acte, puisqu’il y apparaît que tout sens n’est qu’artefact, jusqu’en science où l’on se déplace par calcul dans un espace où l’on est pris, qui est celui du symbolique, sans pouvoir en déduire le réel contre lequel il butera toujours de sa consistance. Cette déduction serait tout aussi trompeuse que les espaces d’Escher, qui ne sont tout de même pas là que pour flatter l’amateur de paradoxes.


À le regarder comme un parlant qui pose la question de ce qu’est l’espace, vous y verrez sa réponse, sous une forme inversée.


Chère ? La psychanalyse est. Pour ce qui est de sa valeur, il est d’autres éléments que son coût pour estimer ce qu’elle fait, son produit.


Le psychanalysant a bien de la patience : on lui fait tous les griefs de prendre au sérieux le mouvement qui le mène au psychanalyste plutôt qu’à une certaine forme de mort. Je vois qu’il y en a de bien plus dérangés que lui.






mardi 14 août 2007

tubes...

Durée de la séance, lacanisme ou pas...


Tout de même, la question de la durée de séance ne se réduit pas à un problème d'horlogerie suisse. Lorsque Freud est passé des séances d'une heure aux séances de quarante cinq minutes, ce n'était pas temps pour s'adapter au temps présumé nécessaire à l'inconscient pour exprimer ou adapter son oreille d'analyste pour entendre quelque chose et y aller de sa réaction interprétative. Il a donné pour argument l'augmentation du nombre de patients nouveaux qui s'adressaient à lui, dont certains faisaient le voyage des Amériques, en bateau; la réduction de la durée d'horloge du temps accordé aurait alors été pour lui une digne manière d'assumer la célébrité qui lui jouait ce mauvais tour.


D'autres points de vue existent; un psychanalyste chevronné me disait il y a quelques années qu'il se serait agi pour Freud de s'adapter aux nouvelles exigences de sa vessie; ceci ne chasse en rien la dimension d'inconscient qu'il y ait pu avoir à cette incontinence qui en serait venue à réguler la continence de la séance. De sorte que la question de la durée relève quoi qu'il en soit de l'inconscient, qu'il s'agisse du terrain des identifications imaginaires et symboliques du côté de l'analyste, présumé les avoir débroussaillées, ou celles des patients. On peut pourtant penser que la célébrité n'empêchait pas Freud de se contenir, où d'autres suivraient ce chemin de réduction horaire parce qu'il ne se sentent plus d'être psychanalyste. Toujours est-il que plus les séances sont courtes, moins on peut les sentir, quoi que ceux qui se plaignent des durées trop brèves déclarent qu'ils l'ont senti passer au point de ne pouvoir le supporter.


Il semble qu'il faille voir un fait d'école, dans cette fixation de la durée. Ce serait oublier un peu vite que la déclaration d'appartenance émise de cette manière est des plus douteuse, puisqu'elle ouvre à la possible imitation de psychanalyse par d'éventuelles autoproclamations inanalysées; si la solution devait être la conformité à une procédure reçue des mains de Freud, lui-même se serait prestement chargé de nous le faire savoir...


Il paraît tout de même qu'on peut parler de la durée de séance en analyse, si c'est ce qui vient; ne serait-ce que pour permettre à l'analyste d'y rester sourd en maintenant une durée inamovible et refuser par surcroît d'en livrer une interprétation...


Alors je me risque à dire ceci: les propos auxquels je réagis ne sont pas sans donner à entendre un certain nombre d'enchaînements signifiants qui me paraissent nous être livrés de manière tout à fait inconsciente de la part de leurs émissaires, fait d'autant plus étrange que la signification de la durée de séance passe pour être communément inanalysée alors qu'elle est analysable.


Peut-être faut-il que ceux qui s'autoproclament psychanalystes sans y être invités par les analysants se penchent sur la question de cette stylisation outrée et convenue de la patience, de l'équanimité, de l'honnêteté et de la compétence dont ils feraient abus, non seulement parce que cette stylisation, cet abus pourraient bien avoir un sens sexuel ailleurs que dans la pondération libidinale, et aussi parce que le simulacre de la séance ne se réduit jamais à sa séquenciation temporelle, mais penche en général vers une conception herméneutique de l'espace-temps social coupé de la question du désir... En quoi il s’agit de symptôme, et non plus de méthode : la méthode agit tout de même, mais la durée répète le nom qu’on lui donne.


D.K.

vendredi 3 août 2007

sans titre 2

L'ouverte, ou du moins décachetée...

Ci-dessous, une ébauche ancienne, lettre ni fermée ni ouverte, que je livre là sans plus de commentaire ou d'autre justification, que de souligner que le temps ici n'a pas encore fait son oeuvre, et qu'une question reste entamée.


20/04/04


Lettre ouverte au sénateur qui me représente (?).



L’inconscient existe-t-il ? Telle est la question qu’il convient de poser avant d’entamer une démarche de réglementation de son champ. Mais le législateur est-il qualifié pour savoir y répondre? Sans doute serait-il ahuri de constater la prudence qui est convenue chez les psychanalystes pour en répondre, et sans doute tout aussi étonné et ébaubi des différences, divergences et contradictions dans leurs propos sur cet « inconscient » dont le débat à présent séculaire, paraît sorti des rails de la raison pour se glisser dans ceux de la raison d’état.


Je ne puis qu’être peiné de ce fait, puisque l’un des premiers enseignements de la psychologie clinique, est que le délire ne consiste pas à sortir des rails, mais à croire qu’il y a des rails. Si l’inconscient n’existe pas, la réglementation court le risque d’entériner des pratiques fondées sur un savoir inconsistant. Si l’inconscient existe, la réglementation court le risque de figer les pratiques qui lui sont relatives sur des positions qui rendront son investigation et sa prise en compte impossible.


La psychanalyse, elle seule, est la méthode d’investigation de l’inconscient inventée et sans cesse réenvisagée à la lumière de ce qu’il laisse apparaître et élaborer théoriquement. Elle ne vise pas principalement les effets thérapeutiques qu’elle obtient et qui peuvent parfois venir à l’appui de ses développements théoriques, mais jamais sans le risque de l’artefact : il n’y a aucune autre approche susceptible en effet d’expliciter raisonnablement l’effet placebo auquel l’on doit tant de succès thérapeutiques indéniables ; alors je frémis des conséquences possibles d’une réglementation de son approche.


Il existe indéniablement une grande quantité de méthodes de psychothérapies dont la visée est l’application des explorations de l’inconscient menées dans le cadre des cures psychanalytiques à un certain nombre de buts jugés thérapeutiques. J’y vois frapper les deux faces de la monnaie du malentendu. D’une part ces psychothérapies ne sont pas toujours menées par des personnes formées par et à la psychanalyse, ce qui a pour conséquence qu’il y a souvent une référence à l’inconscient sans les moyens de son repérage, ce type d’écoute qui ne se transmet que du divan. D’autre part et même lorsque ces psychothérapies sont menées par des personnes dont la référence à l’inconscient freudien est authentique, l’adaptation de la cure à des buts déterminés à l’avance réduit l’espérance raisonnable des personnes qui s’y soumettent à une confiance aveugle et préliminaire en un jugement du thérapeute, estimé supérieur à celui auquel une cure psychanalytique pourraient les mener à construire, porté sur leur propre bien : et vous voyez ici comme l’argument d’une éthique de la psychanalyse se situe sur un terrain entièrement sapé par les développements de la psychanalyse elle-même.


L’amendement dit Dubernard, intégré à l’article 18 quater de la loi sur la santé publique, dans ce qu’il propose de réglementation des psychothérapies, a différents travers que je vais tenter de vous présenter. Mais n’attendez pas de cela une prise de position déontologique, dans la mesure où il ne s’agit pas de défendre les intérêts supposés d’une profession, surtout au détriment d’une autre, mais simplement de vous convaincre que le législateur doit laisser à la psychanalyse les moyens de persister, en confiant au temps nécessaire aux débats théorico-cliniques la responsabilité de trancher la question de son intérêt éthique, culturel, humanitaire, et, si l’on veut, scientifique ?


Il y a deux points très importants que je ne discuterai pas ici, parce que tous les arguments en ont déjà été donnés, la question de la formation et du sort des psychothérapeutes ailleurs que dans les sociétés de psychanalyse, et celle des psychanalystes non régulièrement inscrits dans ces associations, dont l’existence est nécessaire à la survie du débat entre sociétés, et dont l’apport à la psychanalyse est historiquement, indéniablement reconnu.


Je commenterai ici deux aspects indissociables de cet amendement. Le premier est la responsabilité donnée aux associations de psychanalystes (entre autre possibilités) de la formation des psychothérapeutes. Le second étant cet espèce de schisme qu’il imprime de l’extérieur et par contrainte légale, dans le fonctionnement des associations de psychanalyse, entre psychanalystes et psychothérapeutes.


La responsabilité donnée aux associations de nommer, donc de former des psychothérapeutes, nécessite de déplier un commentaire. Je vous propose un classement de ces associations selon leurs modalités, en trois types.


Le premier type concerne les associations de psychanalystes, où l’on demande une formation avant d’avoir été psychanalysant ; où en général le psychanalyste est désigné au candidat à la formation après examen de ses dispositions, capacités et conformations préalables ; et où la formation est présentée comme un cursus incluant un certain nombre de séances minutées, des séminaires et une formation dite clinique consistant en un stage hospitalier. Dans ce type de sociétés à formation standardisée, l’on accède à un titre de psychanalyste par voie d’habilitation cooptative ; les capacités caractérielles du psychanalyste et les modalités de son acte y sont supposées connues et irrémédiables : au point que l’on peut dans ces sociétés refuser un candidat par certitude de ne pouvoir aborder cliniquement les composantes de son caractère de manière à le rendre apte à l’acte psychanalytique, ce qui en dit long sur la profondeur atteinte par la cure. Les candidats jugés aptes entament donc leur formation dans la quasi-certitude de leur devenir, pour autant que leur caractère justement les rende aptes à la soumission exigées aux aînés car ils dépendent de leur jugement. Ce type de formation n’est évidemment pas sans lien avec certaines conformations cliniques, et a été discuté et critiqué depuis une bonne cinquantaine d’années, discussion dont la conclusion est que la psychanalyse ne saurait se réduire à être représentée par ce type de sociétés seul.


Un deuxième type d’association est ouvert aux psychanalystes, aux psychanalysants et à toute personne intéressée à la psychanalyse. La formation passe pour y être essentiellement constituée de la cure psychanalytique. Ces associations ne conçoivent pas que le futur psychanalyste soit tenu à une demande de formation préalable à sa position de psychanalysant, cette demande étant considérée comme un fait qui requiert un entendement clinique. On y accède à la fonction et non à un titre, de psychanalyste par habilitation cooptative, le psychanalyste étant simplement désigné comme étant d’une de ces sociétés. Y coexistent également des psychanalystes non habilités par ces associations, parce qu’il n’ont pas demandé d’habilitation. C’est à dire que dans ces associations l’on ne considère guère que les psychanalysants aient à s’adresser à une association pour obtenir une liste qui ne vaudrait guère, n’étant garantie, et encore, que par ces associations elles-mêmes.


Troisième type, assez proche du second, ouvert à tout un chacun, où le « candidat » serait également renvoyé à l’examen de sa demande dans un cadre clinique, mais où la divergence qui se manifeste est que l’on y considère que « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même…et de quelques autres ». C’est dire que la passe qui est mise en place pour nommer son candidat à un titre de « psychanalyste de l’école », -école qui lui reconnaît ou pas, selon les associations, le titre ou la fonction de psychanalyste dans le social-, n’y est pas jugé un préalable nécessaire à l’exercice de la psychanalyse. C’est dire également que les listes de membres n’y ont qu’une fonction interne essentiellement de communication des activités des membres de ces sociétés, même si cette communication est adressée dans des cercles plus larges.


Cette typologie imparfaite et volontairement non nominative vous permettra d’apercevoir que les conséquences de l’amendement Dubernard vont jouer paradoxalement dans la vie de ces sociétés savantes.


Il y a deux faits à reconnaître. Le premier est que les deux derniers types d’associations présentés et les personnes qui les fréquentent plus ou moins régulièrement sans s’y inscrire représentent à peu près les neufs dixièmes des psychanalystes en exercice. Le deuxième fait est que ce qui distingue résolument ces deux derniers types de sociétés du premier, c’est le sens donné au terme de « formation clinique », réduit pour le premier type à un stage hospitalier qui n’a rien de spécialement référé à la psychanalyse, entendu pour les deux autres types comme l’ensemble constitué par l’apprentissage de la méthode d’entendement freudien par le biais de la cure personnelle, des échanges lors des rencontres, et de la confrontation à l’expérience dite du « contrôle ». Où les pratiques institutionnelles et l’indiscrétion du cabinet fermé par des miroirs sans teint sont jugées contre-productives pour un rapport juste à l’inconscient.


DK