Durée de la séance, lacanisme ou pas...
Tout de même, la question de la durée de séance ne se réduit pas à un problème d'horlogerie suisse. Lorsque Freud est passé des séances d'une heure aux séances de quarante cinq minutes, ce n'était pas temps pour s'adapter au temps présumé nécessaire à l'inconscient pour exprimer ou adapter son oreille d'analyste pour entendre quelque chose et y aller de sa réaction interprétative. Il a donné pour argument l'augmentation du nombre de patients nouveaux qui s'adressaient à lui, dont certains faisaient le voyage des Amériques, en bateau; la réduction de la durée d'horloge du temps accordé aurait alors été pour lui une digne manière d'assumer la célébrité qui lui jouait ce mauvais tour.
D'autres points de vue existent; un psychanalyste chevronné me disait il y a quelques années qu'il se serait agi pour Freud de s'adapter aux nouvelles exigences de sa vessie; ceci ne chasse en rien la dimension d'inconscient qu'il y ait pu avoir à cette incontinence qui en serait venue à réguler la continence de la séance. De sorte que la question de la durée relève quoi qu'il en soit de l'inconscient, qu'il s'agisse du terrain des identifications imaginaires et symboliques du côté de l'analyste, présumé les avoir débroussaillées, ou celles des patients. On peut pourtant penser que la célébrité n'empêchait pas Freud de se contenir, où d'autres suivraient ce chemin de réduction horaire parce qu'il ne se sentent plus d'être psychanalyste. Toujours est-il que plus les séances sont courtes, moins on peut les sentir, quoi que ceux qui se plaignent des durées trop brèves déclarent qu'ils l'ont senti passer au point de ne pouvoir le supporter.
Il semble qu'il faille voir un fait d'école, dans cette fixation de la durée. Ce serait oublier un peu vite que la déclaration d'appartenance émise de cette manière est des plus douteuse, puisqu'elle ouvre à la possible imitation de psychanalyse par d'éventuelles autoproclamations inanalysées; si la solution devait être la conformité à une procédure reçue des mains de Freud, lui-même se serait prestement chargé de nous le faire savoir...
Il paraît tout de même qu'on peut parler de la durée de séance en analyse, si c'est ce qui vient; ne serait-ce que pour permettre à l'analyste d'y rester sourd en maintenant une durée inamovible et refuser par surcroît d'en livrer une interprétation...
Alors je me risque à dire ceci: les propos auxquels je réagis ne sont pas sans donner à entendre un certain nombre d'enchaînements signifiants qui me paraissent nous être livrés de manière tout à fait inconsciente de la part de leurs émissaires, fait d'autant plus étrange que la signification de la durée de séance passe pour être communément inanalysée alors qu'elle est analysable.
Peut-être faut-il que ceux qui s'autoproclament psychanalystes sans y être invités par les analysants se penchent sur la question de cette stylisation outrée et convenue de la patience, de l'équanimité, de l'honnêteté et de la compétence dont ils feraient abus, non seulement parce que cette stylisation, cet abus pourraient bien avoir un sens sexuel ailleurs que dans la pondération libidinale, et aussi parce que le simulacre de la séance ne se réduit jamais à sa séquenciation temporelle, mais penche en général vers une conception herméneutique de l'espace-temps social coupé de la question du désir... En quoi il s’agit de symptôme, et non plus de méthode : la méthode agit tout de même, mais la durée répète le nom qu’on lui donne.
D.K.
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