jeudi 1 novembre 2007

Le traitement de masse de la depression bat la campagne; communication de la depression, 2

« L'architecte parle souvent de ses dessins comme de « gribouillages » : « Je regarde à travers le papier pour tenter de lui arracher l 'idée formelle; c'est comme quelqu'un qui se noierait dans le papier. C'est pourquoi je ne considère pas ce que je fais comme des dessins; je ne peux pas. C'est seulement après, quand je les regarde. » En procédant ainsi, Gehry passe du rôle d'auteur lancé dans ses gribouillages/écriture semi-automatiques à celui de lecteur curieux de démêler les formes potentielles dans les multiples lignes et contours de ses dessins. Selon Barthes, « un texte est fait d'écritures multiples, issues de plusieurs cultures et qui entrent les unes avec les autres en dialogue, en parodie, en contestation; mais il y a un lieu où cette multiplicité se rassemble, et ce lieu, ce n'est pas l'auteur, comme on l'a dit jusqu'à présent, c'est le lecteur ». Intuitivement, Gehry réussit à combiner le conscient et l'inconscient, le gribouillage/écriture semi-automatique avec l'ébauche de plans schématiques basés sur le programme préliminaire et sur l'état du site. Même une fois qu'il pose son crayon feutre, signifiant que la phase de dessin est terminée, le processus créatif continue quand l'architecte retourne à ses croquis en tant que lecteur. Subséquemment, il peut découvrir par hasard des formes qui s'ajouteront à son vocabulaire ou seront rejetées, tout cela en vue d'un seul objectif: « Dessiner est un moyen. La maquette n'est qu'un outil. Tout est outil. L'édifice est la seule chose qui compte – l'édifice achevé. »


(Extrait de « Frank O. Gehry, Musée Guggenheim Bilbao », Coosje van Bruggen, p 40, Guggenheim Museum Publications, Distribué par les Editions de la Martinière, Paris)



Pour manifester une réaction à la campagne d'information sur la dépression qui élimine simplement la psychanalyse des recours proposés à ceux qui s'informent sur « la maladie », le mieux est semble-t-il de procéder par petites touches, en délicatesses avec les savoirs, mais nombreuses; mieux vaut, autrement dit, être un peu tachiste, quitte à passer pour pointilliste, car il ne serait pas de bon ton de laisser la culture de côté, et précisément la culture de masse. Pour donner une idée de l'échelle de cette « petite touche », je publie ci dessous un texte qui a eu son autonomie et a un peu circulé indépendamment, il y a une dizaine d'années, sans que ses lecteurs ou son auteur voient nécessairement bien son statut exact; mais aujourd'hui, il se pose là comme indice de ce qui est au principe de causalité de cette dépression- « maladie » contre laquelle on bat... une campagne. Ce n'est pas tant qu'il faille prendre la mouche, position dépressive pour position dépressive... Mais qu'il y eût, à ce collectif déprimé, que les anti-dépresseurs soignent si mal, (parce que sinon, n'est-ce pas, en serions nous là?), des antériorités nettement plus délirantes. Et si, comme le dit une certaine nouvelle revue de psychanalyse N° 67 de la Cause Freudienne, « Tout le monde délire », faut-il souligner que d'habitude, les psychanalystes n'y sont pas les premiers, et les médias, pas en reste? La bonne méthode est-elle de « faire autorité »? -Il y aura donc autant de « petites touches » qu'il en faudra pour sortir la dépression, « maladie », ou singularité, de sa cloche de Gauss.




...surfer sur la vache folle ...



(Didier Kuntz 21 Juin 1996)


Quelques semaines sans s’informer sont sans doute une folie que l’on peut rarement se permettre à notre époque, il n’en reste pas moins qu’il est impossible d’être totalement coupé des images et rumeurs ; le passé récent ressemble alors à l’un de ces rêves mauvais, particulièrement oiseux, pas loin du cauchemar, dont on se souvient parfois après un sommeil de plomb . Comme les rêves, cela s’analyse, cela révèle les désirs et complexes cachés, il est particulièrement tentant de mettre en rapport les bribes restantes et d’associer librement, pour voir où ça mène ... si cela permet de mettre au jour une organisation cachée, une cohérence subliminale aux charmes surréalistes ...

Alors avant de partir en vacances, encore quelques petits mots sérieux pour lever le nez des copies d’examens avant que la publication des résultats en ait à nouveau rompu le charme.

Ce dont il me souvient, donc, après ces quelques semaines loin des médias, c’est un melting-pot tournant autour des vaches folles, un vrai délice de cuisine politique française, pas loin de la sarabande de sorcières; l’austérité seule des objets en cause nous sépare du délire érotique que toute cette histoire évoque à tour de bras .

Ainsi donc quelque chose d’imprécis a changé en France depuis les lustres du nouveau pouvoir, nouvelles méthodes, nouveaux moyens, comme il se doit, puisque la sémantique permet d’appréhender la pensée collective, pourquoi ne pas gouverner à l’aide du déplacement freudien ? Ainsi avons-nous vu les Français dupés de ce tour de passe-passe qui est venu sublimer la vache enragée en vache folle: autres mots, autres remèdes . S’il n’est pas facile de leur proposer autre chose à bouffer, on peut du moins leur retirer la viande du plat .

Il n’est pas difficile de constater la surdétermination qui fait de la vache folle un chiasme où viennent se croiser les fils conducteurs de la vie politique et de souligner comment son traitement forme un véritable remède de cheval pour les calamités qui nous rongent . Soit dit en passant, qui s’étonnera que la métaphore se joue sur le terrain agricole, puisqu’elle est destinée à stigmatiser le style du président Chirac, qui a testé autrefois sur ce terrain les méthodes d’action avec lesquelles il a longtemps séduit l’opinion ? Ces méthodes, nous devons en saluer le charme poétique, puisqu’elles tirent leur incontestable efficace du travail du verbe dans les images collectives...

Passant de la vache folle à la vache enragée, celle-ci faisant oublier celle-là, on soulignera le lien subjacent entre l’apparition de la rage bovine et la baisse des crédits perpétuellement reconduite de l’Institut Pasteur, auquel je dois une partie pas nécessairement négligeable de ma formation, ce qui est une raison suffisante pour dénoncer l’inefficacité de la baisse de crédit pour en améliorer le rendement: on voit là clairement un résultat . Si l’économie réalisée a pu permettre de financer les balles avec lesquelles les vaches ont été spectaculairement abattues, on remarquera également que la prévention ainsi réalisée permet une solide économie en amont du déficit à venir de la sécurité sociale . La suppression des lits a vraisemblablement atteint sa limite, surtout en ce qui concerne ceux des hôpitaux psychiatriques, comme en témoigne l’apparition de cette histoire proprement délirante .

Puisque maintenant les vétérinaires font de la prévention à l’aide des tireurs d’élite que leur a adjoint une armée en pleine mutation, -au moins là on en a pour son argent-, je profite de la transition pour parler de la prévention du sida . L’on n’imagine pas à quel point sont proches ces thématiques, si l’on oublie la proximité phonématique des vaches avec le V.I.H.; que voilà donc un traitement de rêve (et je pèse mes mots), pour un problème dont on ne voit pas le bout, puiqu’il y a, paraît-il, des difficultés à se suffire d’un numéro vert pour résoudre le problème: pourquoi alors ne pas en fonder un deuxième ?

Un monceau de cadavres de vaches empilées, rassemblées à renfort de bulldozer, des vaches menées au bull-dozer, voyez comment l’on vous montre la vache menée au taureau, comme est morbide la métaphore qui adjoint à la vache une rustaude mécanique humaine; et comme il n’y a qu’un pas du bulldozer au taureau, du taureau à la vache, de la vache au V.I.H., du V.I.H. à l’homme, et de l’homme au singe vert: métaphore d’amour et de mort où la vache a fini de rire . Cela est-il destiné à nous signifier qu’il vaut mieux abattre que de se laisser abattre ? A moins qu’il s’agisse, en matière d’amour, d’un phantasme d’abattage ?

Toujours est-il qu’avec les vaches anglaises est arrivée tout naturellement la question de l’origine . Les psychanalystes savent depuis longtemps quel lien cette question entretient avec le phantasme primordial où le sujet imaginarise sa propre apparition . Pour en revenir à la surface du problème, puisque je suis dans l’étendue, (pour ne pas dire dans les temps durs), il faut remarquer qu’aucun doute ne saurait entacher l’origine française même bovine, et que l’anglais a longtemps été, dans l’imaginaire français, la figure ambivalente de l’ennemi auquel on s’allie de temps à autre depuis la guerre de cent ans, en un mot le rival amoureux . Il suffit de remarquer les défenses que mobilise l’immixtion des langues, pour faire oublier le rapport particulier, si ambigu, du chef de l’état actuel à l’Angleterre, ce qui est au fond assez gaullien . Qu’on tue donc les vaches anglaises pour garantir les nôtres ...

Or donc, depuis peu, chez mon épicier arabe, est apparu ce panonceau stupéfiant, qui garantit l’origine purement française de la viande de boeuf ! Quand je dis épicier arabe, j’ai d’ailleurs l’impression de commettre un pléonasme, qui est la seule alternative à la concentration des chaînes de distribution alimentaire . Ce panonceau a le mérite de remettre à sa vraie place la garantie de l’origine; seul un électrochoc de cette nature peut déplacer la folie de l’origine, du moins pour un temps: l’emploi des électrochocs en psychiatrie, lorsqu’on ne fait plus confiance aux vertus de la parole, a mis en évidence le peu de cas qu’on y fait du sujet, pour qui c’est toujours une meurtrissure de plus ... Et l’on en vient à se demander si cette rhétorique de pouvoir n’est pas plus dangereuse qu’un traitement symptomatique des problèmes, où l’on ne chercherait pas à les résoudre par le cadavre exquis des vaches transformées en boucs émissaires des angoisses françaises . La méthode est efficace et assez charmante pour calmer les esprits en leur offrant un support imaginaire incontestablement adéquat, puisqu’il exorcise jusqu’aux vieux échos de mort-aux-vaches en les figurant dans une mise en scène somptueuse (pour ne pas commettre un somp-tueuse), mais elle ne s’attaque pas à la cause du malaise dans la société, -il faut bien laisser une petite chose aux analystes, n’est-ce pas ?


La France d’aujourd’hui, lorsqu’on scanne sa rumeur, semble bien gouvernée par un émule de Frédéric Dard; on ne contestera pas que c’est préférable à la politique du père Ubu: l’image des coups assenés n’est sans doute pas moins ravageur que les coups eux-mêmes, objectera-t-on; la pensée qui s’insinue en moi me dit que l’image de coups est plus évocatrice pour celui qui en a été la victime . Et peut-on encore se permettre une mauvaise pensée dans un pays terrassé de trous, infecté de peste brune, mais aussi en pleine révolution rampante ?



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