vendredi 14 septembre 2007

Jean Cottraux mis au parfum par son raver même...

(il fut un temps où Jean Cottraux manifesta sur Oedipe le désir d'être mis au parfum de la psychanalyse... C'était en décembre 2005...)


Vous mettre au parfum, Monsieur Cottraux ; mais pourquoi pas ? Alors désarrimons nous d’abord du « parfum » de Süskind, pour ne pas filer du mauvais côté de la métaphore, qui nous renverrait à la concentration moléculaire, dans son rapport au surgissement de la réminiscence.


Celui de la « dame en noir », curieusement, m’évoque d’abord l’image où, dans le « mystère de la chambre jaune », les frères Podalydès font pousser la voiture électrique par le chauffeur, parce qu’un nuage passe, mais leur « dame en noir », qui repose la question du « mystère de la chambre jaune » d’une autre manière, ne fait pas davantage oublier le caractère humoristique des livres de Leroux, où une odeur flottante, assez fantasmagorique, fait pour le héros le seul lien entre lui et une mère présumée, présumée abandonnique, ou non, c’est le fil conducteur de sa série.


Et cela n 'est pas une meilleure voie de suivre dans sa folie le héros du « parfum » de Süskind, qui va , comme on sait, jusqu’à l’extrême limite du délire où conduit la recherche de réminiscence, qu’on pourrait voir à partir de Freud comme la tentative de réussir l’impossible de remonter la filière, à partir de la représentation, pour revenir à la trace, de la trace à la perception, pour se glisser dans l’hallucination de la reproduction de la scène ; ou, à le dire autrement, à annuler l’écart entre deux signifiants, la trace mémorielle étant justement ce qui fait lien, association entre ces deux signifiants. Ne me dites pas que je jargonne, je vous indique juste des lieux où, en psychanalyse, cette question a été posée, articulée.


C’est de cela qu’il s’agit, de la différence entre l’empreinte, (au sens de Eibl-Eibesfeldt), et la trace. C’est articulé de cette manière chez Freud parce qu’il se sert de la neurologie comme d’une analogie, et je pense qu’on peut dire qu’à aucun moment il ne soit dans la confusion qu’il y aurait à prendre sa figuration de l’appareil psychique pour quelque chose qu’on pourrait localiser dans l’appareil neuronique, que ce soit dans sa physiologie comme dans sa chimie.


D’ailleurs, excusez cette digression, pour statuer de l’empreinte et de son effet, il faut disposer du langage, nécessaire à la représentation d’un classement du vivant, (les humains comme appartenant à la classe des mammifères par exemple), la notion d’instinct elle-même étant tributaire de la nécessité qu’il y ait du symbolique pour l’en extraire.


Cela ne revient pas à dire que l’instinct, ou l’empreinte, ou la chaîne comportementale n’aurait à aucun degré une espèce de réalité, mais que sa séquenciation obéit d’abord aux contraintes du symbolique, que nous ne pouvons figurer et connaître que pour autant que nous sommes des êtres parlants.


Si vous suivez les différents fils d’Œdipe, vous vous ferez vous-même la réflexion que le fait même de l’autisme, quoiqu’il soit, n’apporte aucune objection à ce niveau de saisie du problème ; à mon sens ce serait même plutôt le contraire. J’ai été frappé, il y a des années, par ce fait que dans les « écrits » de Lacan, il soit question de l’imaginaire chaque fois qu’il est question d’éthologie, et vice-versa ; ce qui signifie qu’il serait un peu hasardeux de se pencher sur l’imaginaire, (chez Lacan), sans l’étude préliminaire de l’éthologie, animale et humaine. En ce sens le cognitivo-comportementalisme serait une étude de l’imaginaire qui se coupe de ce qu’il faut connaître du symbolique pour s’occuper du vivant, qu’il soit humain ou pas.


Si cela vous fait pousser des hauts cris, cela ne peut-être que par ignorance docte de ce qui se passe dans l’élaboratoire des psychanalyses. Vous le savez sans doute de par la réputation de Lacan, que l’on ne peut pas attraper du symbolique, de l’imaginaire ou du réel tous seuls, sans avoir à faire aux deux autres.


Cette différence entre la trace et l’empreinte, le repérage de la trace comme telle, supposent donc le symbolique, c’est ce sur quoi Jacques Lacan a mis l’accent : non pas que la trace comme telle n’existe pas comme réelle, elle y existe peut-être après tout, mais cela fait partie des choses que ce qui nous permet, (à nous humains) de savoir, ne nous permet justement pas de savoir : c’est le fait même de la détacher du réel, cette trace, qui la symbolise et l’en sépare.


Sans doute la perception est-elle organisée, chez les êtres que nous classons comme non-humains parce qu’ils n’ont pas le langage doublement articulé, mais cette organisation reste pour nous en tant que telle inconnaissable, elle nous est inconnaissable hors symbolique. À ce niveau, on conclut nécessairement que l’on ne peut s’occuper du pathologique chez l’humain qu’en prenant en considération la présence du symbolique, constitutive de et en lui. Cette prise en considération implique que l’on se penche sur la notion du symbolique.


Or la notion du symbolique en elle-même n’est pas saisissable sans l’histoire de ses errata, d’où que l’on parte dans l’histoire des conceptions du signe, qui nous amènent aujourd’hui à le penser en des termes, non plus de liaison entre le signe et la chose, ou en tant que copule entre signifié et signifiant, mais comme articulation entre un signifiant S1 et un signifiant S2, qui se ramène finalement de manière encore plus épurée à une articulation entre le sujet, S(barré) et (a), (objet dont trop de choses sont dites pour résumer), articulation qui s’effectue par l’écriture d’un poinçon carré. Cette formalisation (du rapport du sujet au fantasme) demande évidemment un peu d’étude pour être lue et déployée, mais elle fait sans doute partie de ce que les psychanalystes devraient apprendre à lire.


La conséquence en est que le modèle largement répandu de la communication, émetteur-message-destinataire, doit être revu à la lumière de ce que le message a d’autres effets que celui d’un signe que l’on pourrait détacher du code, que partagent, seulement partiellement émetteur et destinataire, ce qui a pour effet qu’il n’existe aucun locuteur qui puisse maîtriser les effets d’un « message ». À détacher le message du lieu de son énonciation, pour le compter, en faire de la statistique dont on tirerait des leçons, l’on se coupe irrémédiablement de sa texture, qui est de représenter un sujet pour un autre (signifiant) ; le « sens » qui s’en extrait alors ne dit plus rien des sujets qu’il est pourtant sensé représenter.


Vous voyez bien pour l’instant, Monsieur Cottraux, qu’il s’agit bien là d’une logique tout à fait rigoureuse, qui conduit à affirmer que ce qui se construit comme science de ce côté loupe l’objet dont elle prétend s’occuper ; c’est ce qui me conduit à ne pas renier le terme de « fausse science » qu’emploient un certain nombre de vos contradicteurs, et ils ont raison, ils n’ont que le tort de ne pas avoir réussi à vous le faire comprendre. C’est non seulement la raison pour laquelle la psychanalyse ne peut pas être évaluée, mais également la raison pour laquelle l’évaluation des psychothérapies quelles qu’elles soient participe d’un mouvement d’a-scientificité ; et par surcroît la raison pour laquelle l’évaluation des tcc, (qui ne sont pas psycho-), telle qu’elle a été menée par l’INSERM, reste dépourvue de scientificité, parce que les messages qu’elle recueille ne sont pas du réel ; la preuve est un artefact.


Ce n’est pas dire que les tcc n’aient pas d’effets éventuellement comptables, mais c’est dire que les effets en question ne font pas la preuve de la pertinence du ou des modèles thérapeutiques ainsi représentés par la mesure. La distinction entre sciences molles et dures est donc ici un argument sans valeur intrinsèque ou herméneutique.


Il se trouve simplement que dans les tcc, (entre autre), une large part est faite à l’influence du performatif, (quand ce n’est que celle-ci), et que les résultats mesurés ne peuvent pas être distingués d’une appréciation sur le transfert au thérapeute dans lesquels ils sont saisis, certainement en méconnaissance de ce fait. À le prendre ainsi, ils ne chiffreraient qu’une quantité de transfert, et non les effets de celui-ci, quantité, d’ailleurs, on l’a montré comparable à celle trouvée pour l’effet placebo.


Je vous soutiens donc tout à fait dans votre demande d’être mis au parfum de ce qu’est la psychanalyse, puisque ces résultats vous y renvoient imparablement. Je pense en effet qu’il est temps que les praticiens divers et variés sortent de leurs églises ou chapelles et viennent à l’analyse de ce qu’ils font effectivement, puisqu’il semblent qu’ils ne trouvent pas d’autres contradicteurs que les psychanalystes, auxquels ils veulent bien causer de temps à autre, comme vous le faites.


Le symbolique, vous le savez, ne s’attrape pas sous les sabots du cheval de petit Hans. Il faut aller voir de plus près comment le symbolique s’extrait de l’herméneutique à partir de Mauss, puis de Lévy-Strauss, puisque l’on passe par l’examen de l’échange de dons et contredons pour autant qu’ils représentent la valeur de l’alliance, à l’étude d’éléments de cultures en tant qu’ils forment système mythologique et représentations des liens de parentés ; mais je ne vais pas me faire l’arara des Bororos.


Simplement c’est à partir de ces travaux que l’interprétation psychanalytique sort de l’ornière herméneutique où Jung, à l’insu de son plein gré, l’avait fait glisser. Et seulement à partir de ces travaux que l’on sort de la discussion universitaire de la rigueur douteuse des travaux de Margaret Mead, pour les conditions de recueil des données, ou des critiques de Bronislaw Malinowski à la théorie de Freud sur l’universalité du tabou de l’inceste, et comme vous le savez ces critiques sont tout à fait bienvenues et pertinentes.


À partir de ces prémisses seulement l’on peut apprécier la différence de conception que Jacques Lacan amène à la notion de symbolique pour la placer comme relative à la langue, à ce que nous parlons, comme étant structuré, organisé, non seulement en syntaxe, mais de manière paradigmatique par des réseaux de relations qui ont trait au fondement du lien social, sans qu’il y ait lieu d’en inférer une substructure, telle le ‘subconscient’ de Janet. Voyez que pour vous mettre au parfum, Monsieur Cottraux, il faut y être sans s’y coller. Ne me dites pas que jusqu’ici cela garde une odeur de consultoire, parce que ce que je vous dis là, je pense qu’il n’y a pas du tout encore nécessité d’être en analyse pour le dire. C’est du savoir, avec ses errements, -je ne suis pas si savant que cela.


Alors j’en reviens à ce que vous écriviez, pour l’histoire d’un détail :


« Il me semble aussi que Freud disait que les hystériques souffrent de réminiscences. Je pensais avoir trouvé un lieu commun pour les diverses psychothérapies.

Je me suis trompé : perseverare diabolicum. », écriviez-vous .


La citation que vous faites de Freud, pour autant que je me souvienne est un peu tronquée. Il écrivait, (je n’ai pas le texte en allemand à ma disposition), que les hystériques souffrent « principalement » de réminiscences.


Il convient de bien peser le poids de ce « principalement » ; Freud pense à l’époque que les hystériques souffrent de réminiscences ; mais ce « principalement » nous dit assez clairement qu’elles souffrent également d’autre chose, peut-être moins sur le devant de la scène ; cette autre chose dont elles souffrent, conduit à déceler qu’il ne s’agit plus de supprimer (par hypnose) ou d’amortir l’effet de réminiscences qui seraient à considérer comme pathogènes, mais de lire la fonction linguistique ou sémantique que ces réminiscences occupent dans le dispositif (théâtralisé par l’analyse) de la parole qu’elles déploient, qui ne s’attrape, (ou ne « satrape »), pas du côté de l’herméneutique, (comme telle qui renverrait à l’oedipe notamment), mais du côté de l’articulation entre la demande et le désir.


À ce point il devient lisible que c’est un fantasme qui est potentiellement pathogène, et non pas l’une ou l’autre réminiscence, ou leur liaison plus ou moins dense en identifications ; c’est ce point qui conduit Freud à se pencher sur une réorganisation de sa lecture du transfert. Et c’est ce qui me conduit régulièrement à vous dire qu’en deça de ce point, l’on retourne en deça de H. Jackson, de la coupure épistémique que la psychanalyse lui doit. Et cela ne mène qu’à être tourné en bourrique par la demande. Ce qui est dommageable à toute tournure thérapeutique en germe.


Voyez bien que si je réponds à la vôtre, d’être mis au parfum, c’est parce que je sais que vous savez que pour être formé à la psychanalyse, il faut d’abord en faire une. Le langage que je tiens, revient plutôt à dire que pour en faire une, il n’est pas du tout nécessaire de passer par une thérapie auparavant, comme s’il y avait à prendre au sérieux cette découpe complaisante et fausse entre « surface » et « profondeur » où se logerait l’inconscient. Venir à l’analyste avec une demande de thérapie, cela peut tout à fait se faire.


Pour ma part j’ai constaté qu’en terme d’élation des symptômes, au cas très improbable où ce serait le seul enjeu d’une demande, l’indication de la psychanalyse est plutôt recommandable par rapport aux autres « techniques », et ce même en terme de temporalité, quoique je sois d’accord avec Ines de Oliveira pour ce qu’elle vous dit. Au fait, avez-vous lu « l’homme pressé », de Paul Morand ? Il n’est pas pressé comme un citron, tout de même, cet homme, à avoir la mort dans sa poche avec un mouchoir dessus.


Voilà, Monsieur Cottraux, la réponse que je peux vous faire dans ce cadre d’un fil « Oedipe » ; si vous voulez vous pouvez la faire lire à vos collègues, mais alors intégralement si possible, parce que c’est déjà assez serré pour ce que cela remue.


Bien cordialement,


Didier Kuntz





Aucun commentaire: