20080213 - INPES – DEPRESSION – 11- Dormir sur ses deux oreilles rend fou.
Imaginez-vous ceci : vous vous allongez dans un endroit calme, reposant. Vous ne pensez à rien de particulier. Vous sentez vos jambes, vos bras, qui reposent tranquillement sur le doux matelas dans cette pièce tempérée et agréable. Vous sentez le contact de votre dos avec le matelas, relaxez-vous de plus en plus. Sentez le contact de votre tête avec l'oreiller. Ecoutez calmement la suggestion qui vous est faite de dormir sur vos deux oreilles. Et rien ne va plus. Vous vous retournez, afin de poser une oreille sur l'oreiller. Vous cherchez le contact de la deuxième oreille avec l'oreiller et vous vous retournez. Impossible malgré tous vos efforts de parvenir à poser simultanément les deux oreilles sur l'oreiller afin de dormir selon la manière qui vous est suggérée, paisiblement, de cette voix tranquille et lénifiante, si agréable à écouter dans la retraite construite par la voix omniprésente et persuasive. Vous aller conclure un peu vite que dormir est impossible et que toute vélléité de sommeil rend fou. Vous n'allez pas tarder à entendre qu'un traitement s'impose car à n'en pas douter, vous êtes déprimé.
Qu'est-ce donc que cette expression dont la réalisation concrète est impossible, sinon par le biais de la troisième oreille, et comment donc évaluer l'expression? Valez-vous bien de dormir sur vos deux oreilles ? Il s'agit à n'en pas douter d'une métaphore, c'est à dire, d'une expression dont le sens est porté plus loin : il ne s'agit pas là des oreilles, mais de ce qu'elles vous permettent d'entendre. Ce qui vous est proposé est de dormir sur ce que vous entendez, et surtout de ne pas mettre la pression critique sur le sens de ce que vous entendez. Sans quoi évidemment vous ne dormiriez que d'un oeil.
Qu'est-ce qui, donc, dans cette campagne organisée par l' INPES pour vous confronter de manière massive et persistante à la suggestion que vous pourriez être déprimé, a réveillé les psychanalystes autour de Jacques-Alain Miller ?
Ce n'est pas tant que l'organisation de cette campagne follement et très inutilement coûteuse induise la reprise et la massification de cette thématique dépressiogène par les revues plus ou moins people, de l'Express à Gala en passant par les magazines féminins, télévisuels et psychologiques, le Nouvel Obs et Doctissimo, et ait un véritable effet de propagande destinée à nous convaincre que décidément, rien de concret dans la vie sociale, politique, économique et culturelle, dans la France actuelle, ne pourrait se présenter comme cause tout à fait réelle de tristesse et de douleur morale, comme cause de ce sentiment que les choses se situent plutôt bas par rapport à quelque chose de plus haut antérieurement éprouvé, et ineffaçable, que l'on appelle cela mai 68 et de tous ses voeux, ou autrement.
Ce qui détermine la prise de position de ces psychanalystes, c'est que le discours qui est tenu sur cette dite dépression, ce nouveau nom donné au constat que le citoyen est délesté de son pouvoir de désirer, de manquer, pour s'offrir comme regard envieux à l'étalage massif de la jouissance du pouvoir, et que, d'autre part, ce discours on ne peut plus officiel situe cette déconvenue, ce dégoût, comme une maladie du corps, à présenter au médecin et à traiter par la pharmaco-chimie, à quoi les « bonnes pratiques » contraignent celui-ci.
Déconvenue et déception, ces deux grands affects du corps social actuel, se sont donc très maladroitement trouvé posés comme réactions maladives, comme s'il était évident pour tous que le spectacle que la société se donne à elle-même devait nécessairement plaire : si vous n'obéissez pas à l'injonction de trouver l'époque agréable, et l'estimez contrainte, vous n'êtes pas contrit, mais déprimé; et encore, vous dit-on, ne s'agit-il pas de névrose actuelle, que l'on pourrait vous conseiller de traiter par la psychanalyse : l'INPES fait le faux-pas supplémentaire de vous dire qu'il s'agit d'une maladie du corps, dont le contenu psychologique ou psychique éventuel est un épiphénomène, à traiter par le mépris et dans l'urgence.
De cette campagne bâclée, contre-productive, inutile, et orientée selon les préceptes sectaires d'une théorie psychologique, la pièce centrale est le cognitivisme, qui peine à asseoir son emprise dans les universités par autre chose que la désinformation clinique et par lobbying, et il faut maintenant conclure ce onzième et dernier volet par le rappel à l'opinion publique que c' est avant tout pour permettre que l'on puisse continuer à se parler sans courir le risque de tomber dans les pièges de l'influence manipulatrice y compris en clinique, que les cliniciens, chercheurs, enseignants et intellectuels se sont mobilisés, à l'appel lancé par Jacques-Alain Miller à travers forumpsy ou d'eux- mêmes : le mouvement est lancé, et il atteindra son but, qui est que l'on cesse de traiter l'humanité comme une variété de rats de laboratoire. L' INPES a été pris la main dans le sac. Il serait temps que les journalistes diffusent les résultats de leurs investigations.
DK
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