vendredi 3 août 2007

L'ouverte, ou du moins décachetée...

Ci-dessous, une ébauche ancienne, lettre ni fermée ni ouverte, que je livre là sans plus de commentaire ou d'autre justification, que de souligner que le temps ici n'a pas encore fait son oeuvre, et qu'une question reste entamée.


20/04/04


Lettre ouverte au sénateur qui me représente (?).



L’inconscient existe-t-il ? Telle est la question qu’il convient de poser avant d’entamer une démarche de réglementation de son champ. Mais le législateur est-il qualifié pour savoir y répondre? Sans doute serait-il ahuri de constater la prudence qui est convenue chez les psychanalystes pour en répondre, et sans doute tout aussi étonné et ébaubi des différences, divergences et contradictions dans leurs propos sur cet « inconscient » dont le débat à présent séculaire, paraît sorti des rails de la raison pour se glisser dans ceux de la raison d’état.


Je ne puis qu’être peiné de ce fait, puisque l’un des premiers enseignements de la psychologie clinique, est que le délire ne consiste pas à sortir des rails, mais à croire qu’il y a des rails. Si l’inconscient n’existe pas, la réglementation court le risque d’entériner des pratiques fondées sur un savoir inconsistant. Si l’inconscient existe, la réglementation court le risque de figer les pratiques qui lui sont relatives sur des positions qui rendront son investigation et sa prise en compte impossible.


La psychanalyse, elle seule, est la méthode d’investigation de l’inconscient inventée et sans cesse réenvisagée à la lumière de ce qu’il laisse apparaître et élaborer théoriquement. Elle ne vise pas principalement les effets thérapeutiques qu’elle obtient et qui peuvent parfois venir à l’appui de ses développements théoriques, mais jamais sans le risque de l’artefact : il n’y a aucune autre approche susceptible en effet d’expliciter raisonnablement l’effet placebo auquel l’on doit tant de succès thérapeutiques indéniables ; alors je frémis des conséquences possibles d’une réglementation de son approche.


Il existe indéniablement une grande quantité de méthodes de psychothérapies dont la visée est l’application des explorations de l’inconscient menées dans le cadre des cures psychanalytiques à un certain nombre de buts jugés thérapeutiques. J’y vois frapper les deux faces de la monnaie du malentendu. D’une part ces psychothérapies ne sont pas toujours menées par des personnes formées par et à la psychanalyse, ce qui a pour conséquence qu’il y a souvent une référence à l’inconscient sans les moyens de son repérage, ce type d’écoute qui ne se transmet que du divan. D’autre part et même lorsque ces psychothérapies sont menées par des personnes dont la référence à l’inconscient freudien est authentique, l’adaptation de la cure à des buts déterminés à l’avance réduit l’espérance raisonnable des personnes qui s’y soumettent à une confiance aveugle et préliminaire en un jugement du thérapeute, estimé supérieur à celui auquel une cure psychanalytique pourraient les mener à construire, porté sur leur propre bien : et vous voyez ici comme l’argument d’une éthique de la psychanalyse se situe sur un terrain entièrement sapé par les développements de la psychanalyse elle-même.


L’amendement dit Dubernard, intégré à l’article 18 quater de la loi sur la santé publique, dans ce qu’il propose de réglementation des psychothérapies, a différents travers que je vais tenter de vous présenter. Mais n’attendez pas de cela une prise de position déontologique, dans la mesure où il ne s’agit pas de défendre les intérêts supposés d’une profession, surtout au détriment d’une autre, mais simplement de vous convaincre que le législateur doit laisser à la psychanalyse les moyens de persister, en confiant au temps nécessaire aux débats théorico-cliniques la responsabilité de trancher la question de son intérêt éthique, culturel, humanitaire, et, si l’on veut, scientifique ?


Il y a deux points très importants que je ne discuterai pas ici, parce que tous les arguments en ont déjà été donnés, la question de la formation et du sort des psychothérapeutes ailleurs que dans les sociétés de psychanalyse, et celle des psychanalystes non régulièrement inscrits dans ces associations, dont l’existence est nécessaire à la survie du débat entre sociétés, et dont l’apport à la psychanalyse est historiquement, indéniablement reconnu.


Je commenterai ici deux aspects indissociables de cet amendement. Le premier est la responsabilité donnée aux associations de psychanalystes (entre autre possibilités) de la formation des psychothérapeutes. Le second étant cet espèce de schisme qu’il imprime de l’extérieur et par contrainte légale, dans le fonctionnement des associations de psychanalyse, entre psychanalystes et psychothérapeutes.


La responsabilité donnée aux associations de nommer, donc de former des psychothérapeutes, nécessite de déplier un commentaire. Je vous propose un classement de ces associations selon leurs modalités, en trois types.


Le premier type concerne les associations de psychanalystes, où l’on demande une formation avant d’avoir été psychanalysant ; où en général le psychanalyste est désigné au candidat à la formation après examen de ses dispositions, capacités et conformations préalables ; et où la formation est présentée comme un cursus incluant un certain nombre de séances minutées, des séminaires et une formation dite clinique consistant en un stage hospitalier. Dans ce type de sociétés à formation standardisée, l’on accède à un titre de psychanalyste par voie d’habilitation cooptative ; les capacités caractérielles du psychanalyste et les modalités de son acte y sont supposées connues et irrémédiables : au point que l’on peut dans ces sociétés refuser un candidat par certitude de ne pouvoir aborder cliniquement les composantes de son caractère de manière à le rendre apte à l’acte psychanalytique, ce qui en dit long sur la profondeur atteinte par la cure. Les candidats jugés aptes entament donc leur formation dans la quasi-certitude de leur devenir, pour autant que leur caractère justement les rende aptes à la soumission exigées aux aînés car ils dépendent de leur jugement. Ce type de formation n’est évidemment pas sans lien avec certaines conformations cliniques, et a été discuté et critiqué depuis une bonne cinquantaine d’années, discussion dont la conclusion est que la psychanalyse ne saurait se réduire à être représentée par ce type de sociétés seul.


Un deuxième type d’association est ouvert aux psychanalystes, aux psychanalysants et à toute personne intéressée à la psychanalyse. La formation passe pour y être essentiellement constituée de la cure psychanalytique. Ces associations ne conçoivent pas que le futur psychanalyste soit tenu à une demande de formation préalable à sa position de psychanalysant, cette demande étant considérée comme un fait qui requiert un entendement clinique. On y accède à la fonction et non à un titre, de psychanalyste par habilitation cooptative, le psychanalyste étant simplement désigné comme étant d’une de ces sociétés. Y coexistent également des psychanalystes non habilités par ces associations, parce qu’il n’ont pas demandé d’habilitation. C’est à dire que dans ces associations l’on ne considère guère que les psychanalysants aient à s’adresser à une association pour obtenir une liste qui ne vaudrait guère, n’étant garantie, et encore, que par ces associations elles-mêmes.


Troisième type, assez proche du second, ouvert à tout un chacun, où le « candidat » serait également renvoyé à l’examen de sa demande dans un cadre clinique, mais où la divergence qui se manifeste est que l’on y considère que « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même…et de quelques autres ». C’est dire que la passe qui est mise en place pour nommer son candidat à un titre de « psychanalyste de l’école », -école qui lui reconnaît ou pas, selon les associations, le titre ou la fonction de psychanalyste dans le social-, n’y est pas jugé un préalable nécessaire à l’exercice de la psychanalyse. C’est dire également que les listes de membres n’y ont qu’une fonction interne essentiellement de communication des activités des membres de ces sociétés, même si cette communication est adressée dans des cercles plus larges.


Cette typologie imparfaite et volontairement non nominative vous permettra d’apercevoir que les conséquences de l’amendement Dubernard vont jouer paradoxalement dans la vie de ces sociétés savantes.


Il y a deux faits à reconnaître. Le premier est que les deux derniers types d’associations présentés et les personnes qui les fréquentent plus ou moins régulièrement sans s’y inscrire représentent à peu près les neufs dixièmes des psychanalystes en exercice. Le deuxième fait est que ce qui distingue résolument ces deux derniers types de sociétés du premier, c’est le sens donné au terme de « formation clinique », réduit pour le premier type à un stage hospitalier qui n’a rien de spécialement référé à la psychanalyse, entendu pour les deux autres types comme l’ensemble constitué par l’apprentissage de la méthode d’entendement freudien par le biais de la cure personnelle, des échanges lors des rencontres, et de la confrontation à l’expérience dite du « contrôle ». Où les pratiques institutionnelles et l’indiscrétion du cabinet fermé par des miroirs sans teint sont jugées contre-productives pour un rapport juste à l’inconscient.


DK







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